
Par Olivier Dénommée
Il est assez rare que je prenne la peine d’écrire des textes à saveur plus éditoriale ici, principalement parce que je trouve prétentieux de faire comme si mon opinion était celle de tout Critique de salon, incluant les collaborateurs passés qui y ont prêté leur plume au fil des années. Mais, parfois, il faut se mouiller un peu. Revenons donc sur une chronique signée par un certain Patrick Lagacé le 3 mai, Nuit magique à Brossard, qui a semblé enflammer la scène musicale québécoise.
J’avoue que je ne pensais franchement pas écrire sur le sujet. Mon avis est que Lagacé a plein de talents, mais pas celui de chroniqueur culturel. Il l’a donc un peu échappé en se positionnant contre les premières parties dans les shows de musique, qui sont (en gros) selon lui trop longues et font finir les spectacles trop tard. C’est au mieux maladroit, mais est-ce que ça mérite que le milieu culturel montréalais déchire collectivement sa chemise? J’ose croire que non : Patrick Lagacé est influent et sur toutes les tribunes, oui, mais je doute qu’au lendemain de sa mauvaise chronique, soudainement les gens ont cessé d’acheter des billets de spectacle ou ont commencé à manifester pour éliminer les premières parties!
Ce qui m’a toutefois amené à écrire ce texte, c’est que j’assistais moi-même à un spectacle (sans première partie en plus, le rêve!) et que je m’apprêtais à lancer une petite pique en faisant référence à la chronique de Lagacé. La petite pique s’est pas la suite transformée en petit paragraphe pour expliquer ma position sur cette sortie. Et dans un souci de respect afin de ne pas cannibaliser une chronique qui n’avait aucun lien avec cette malheureuse publication, j’ai cru bon d’en faire un texte à part, que voici.
Sur le fond, l’opinion de Patrick Lagacé n’est pas complètement isolée. Il n’est pas rare de voir les gens arriver volontairement en retard sachant qu’il y a une première partie, ou être là tout le long, mais se foutre de la musique et parler pendant toute la performance, et pas toujours de façon discrète. On s’entend, ce n’est pas une pratique très respectueuse et j’ai souvent par le passé souligné le manque de considération du public pour les gens autour et les artistes. Lagacé n’est pas nécessairement dans le champ quand il critique les heures tardives de fins de shows, surtout en pleine semaine. Imaginez, tous les spectateurs ne sont pas non plus résidents de Montréal, et doivent dans certains cas se taper plus d’une heure de route. Il ne faut alors pas se surprendre que des gens regardent leur montre et quittent avant 23h s’ils ne voient pas la fin arriver, peu importe à quel point ils aiment ce qu’ils entendent.
Ceci étant dit, il s’y prend excessivement mal dans sa façon de questionner la pertinence des premières parties. Je ne compte plus le nombres d’artistes talentueux qui ne seraient jamais passés sur mon radar si je ne les avait pas écoutés «par accident» alors qu’ils montaient sur scène devant l’artiste que je venais voir. La relève est bonne, archi talentueuse et tellement créative que c’est déjà arrivé qu’une première partie vole carrément le show à la tête d’affiche tellement elle avait mis le paquet, face à un artiste plus établi, mais peut-être aussi un peu fatigué ou blasé de faire son 4e spectacle cette semaine et pas toujours dans une salle aussi prestigieuse que la semaine passée. Bref, c’est dommage de s’en prendre à eux, qui font plus souvent qu’autrement un travail exceptionnel, et qui ont la tâche souvent ingrate de réchauffer un public pas toujours réceptif.
Et la question de commencer à l’heure? Il me semble que ce n’est plus un problème répandu depuis très longtemps. Quand j’ai commencé à voir des spectacles rock il y a un peu plus d’une quinzaine d’années, la «norme» semblait effectivement d’attendre ce qui paraissait comme une éternité avant qu’un artiste monte enfin sur scène. De nos jours, même les spectacles de punk débutent généralement pile à l’heure – pas si anarchistes que ça finalement! – et quand il y a un retard, ça s’explique souvent par… le fait que le public n’est pas encore entré dans la salle.
Je ne m’étendrai pas plus que nécessaire, mais pour moi la santé de la culture québécoise se porte somme toute assez bien. Oui, on a toujours besoin de plus de soutien à la création et à la diffusion de notre culture, et oui des sorties comme celles de Lagacé la semaine dernière ou encore celle de Guillaume Abbatiello de Pizza Salvatoré il y a quelques mois nuisent plus qu’elles n’aident, mais on n’est pas à un mauvais commentaire près de faire collectivement faillite. Ça me rappelle même la fois où j’ai été personnellement accusé de «tuer la musique» parce que j’avais osé faire une critique mitigée d’un spectacle. C’était en 2017 si je me souviens bien et il n’y a pas eu d’effondrement depuis, bien au contraire. J’aurais honnêtement été bien triste de tuer la musique avec mon commentaire!
Tant pis pour ceux qui n’aiment pas vraiment les arts et la culture (c’est leur droit), mais pour ceux qui ont autant de plaisir que nous chroniqueurs culturels, je n’ai pas peur un instant qu’on va continuer de passer d’autres «nuits magiques» dans le futur, avec ou sans premières parties!
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