CHRONIQUE : «Les Producteurs», véritable tour de force

La majorité de la distribution pendant le numéro d’ouverture. Photo : Annie Diotte / La P’tite photographe

Par Olivier Dénommée

J’ai eu l’occasion d’assister le 4 avril à la première méditatique à l’Espace Saint-Denis de la version québécoise de comédie musicale Les Producteurs, créée par Mel Brooks à partir de son film du même nom datant des années 60. Si le matériel original date un peu, le sujet – un duo de producteurs verreux cherchant à s’en mettre plein les poches en créant un flop – n’a pas pris une ride. Et l’humour grinçant à souhait a été parfaitement adapté à la réalité de 2024.

C’est à Serge Postigo (et à l’impressionnante équipe autour de lui) que l’on doit cette ambitieuse adaptation. Quand on pense à une comédie musicale, on pense aux dialogues, bien sûr, mais aussi aux références culturelles et surtout aux paroles des chansons. Les Producteurs nous replonge à Broadway dans les années 50 tout en restant bien au Québec, avec ses clins d’œil bien de chez nous et les sacres sporadiques qui venaient nous rappeler qu’on était bel et bien toujours à Montréal.

Serge Postigo, à la fois metteur en scène et l’acteur du rôle principal Max Bialystock, était solide, mais il a volontiers laissé le reste de son équipe briller. Tommy Joubert (jouant Leopold «Leo» Bloom) est une véritable étoile montante, lui qui s’est aussi fait remarquer dans Rock of Ages et La famille Addams et il volait le show dans plusieurs des scènes où son personnage parvenait à sortir de sa timidité handicapante. Même en mode névrosé, son timing comique ne ratait jamais sa cible. La Française Marianne Orlowski était quant à elle exquise en jouant la Suédoise Ulla, qui surprenait autant par ses prouesses vocales que par son agilité. Mention spéciale à la première scène où l’on fait la rencontre de Carmen (Jean-Luke Côté), personnage coloré dans un ensemble sortant déjà franchement de l’ordinaire et l’apparent naturel de Roger de Brie (Benoît Finley) avec des talons hauts, sachant qu’avant d’avoir ce rôle, le comédien ne possédait pas du tout ce talent.

Tommy Joubert en Leo Bloom a volé le show à plusieurs reprises. Photo : Annie Diotte / La P’tite photographe

Mais ce talent a été accentué par le reste de l’équipe, offrant une peformance réglée au quart de tour qui était particulièrement impressionnante lorsque tout le monde ou presque se trouvait sur scène en même temps (on parle quand même de 16 personnes qui jouent, chantent et dansent simultanément). On aurait probablement pu assister à 3 représentations et porter notre attention sur des éléments différents chaque fois tellement il se passait des choses! L’équipe était à la limite trop bonne : selon l’histoire, le tandem cherchait à monter la pire comédie musicale, avec le pire texte, le pire metteur en scène et les pires acteurs. Or, mis à part que le dramaturge Franz Liebkind (Thiéry Dubé) est un néo-nazi assumé et que le metteur en scène Roger de Brie a de la difficulté a différencier les cotés cour et jardin, le «show dans le show» (la comédie musicale poétiquement intitulée Nos cœurs pour Hitler) est indéniablement majestueux et est parvenu à rendre les nazis a paillettes glamour et presque sympathiques. À moins de tout prendre au premier degré, ce que je déconseille fortement, tout le monde a pu apprécier cette performance impeccable.

Les autres scènes qui ont retenu notre attention est celle des marchettes et celle en prison où Max résume en peut-être 2 minutes l’ensemble de la comédie musicale jusqu’à ce point (environ 2h). Je ne sais pas si cette dernière scène était déjà là ou si c’est un ajout, mais elle valait le détour.

Je salue aussi le sens du détail. Beaucoup d’éléments non dits pendant la représentation ont pu ajouter à l’expérience de ceux qui l’ont remarqué. Le titre de la comédie musicale qui a floppé au début du spctacle s’intitule Richard 4 ½, mélange entre la pièce Richard III de Shakespeare et 4 et demi…, téléroman québécois dans lequel jouait un certain Serge Postigo. Les motifs phalliques du manoir de Roger de Brie n’ont jamais été discutés, mais je doute fortement à une coïncidence. Même l’entracte faisait partie un peu partie du spectacle, alors qu’on a pu entendre en musique de fond Ce soir on danse à Naziland de Starmania, alors qu’on savait que les prochaines scènes au retour seraient la fameuse pièce faisant l’apologie de Hitler. Bref, chapeau pour le sens du détail!

La performance a été très physique, notamment pour l’excellente Marianne Orlowski (Ulla). Photo : Annie Diotte / La P’tite photographe

Et maintenant, quelques bémols : avoir 16 chanteurs en même temps sur une scène (en plus des musiciens live cachés à l’arrière) pose certains défis techniques et il est arrivé à quelques reprises qu’on peinait à comprendre les paroles. C’était surtout au début que c’était difficile, mais c’est une situation qui est revenue à 2 ou 3 reprises au fil de la représentation. Enfin, la longueur : on parle ici de 2h20, en plus d’une entracte de 20 minutes. Même si j’ai ri une bonne partie de la représentation qui n’avait que très peu de temps morts, je dois dire que c’était long et que ça aurait mérité un petit élagage dans certaines scènes. Ça aurait certainement pu puncher autant, sinon plus, avec un peu moins de 2 heures! D’autant plus que le spectacle débute seulement à 20h, alors ne prévoyez pas sortir avant 22h45!

Comme les qualité des Producteurs surpassent largement ses défauts, je ne peux que recommander d’avoir voir cette comédie musicale, si vous avez l’argent pour acheter les billets qui ne sont pas donnés, mais qui valent chaque dollar investi vu la qualité de la production. La dernière représentation à l’Espace Saint-Denis est prévue le 14 avril, mais le spectacle voyagera dans les prochains mois, dont à Québec cet été.


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