CHRONIQUE : L’état du jazz d’ici

2013 Christine Jensen - Off festival de jazz 29Par Olivier Dénommée

Voir autant de shows en peu de temps peut avoir des répercussions sur notre vision des choses. Du moins, ça en a eu sur ma vision. J’ai assisté en quelques jours à plus d’une dizaine de spectacles de jazz, dans le cadre de la quatorzième édition de l’OFF Festival de jazz de Montréal, et je réalise que ce style, qui ne semble vivre qu’à travers les multiples festivals qui existent partout, est beaucoup plus énergique que tout ce que je pouvais imaginer. Il y a des centaines de musiciens de jazz professionnels d’ici qui croient en leur art, qui créent quelque chose d’unique et qui persistent malgré l’absence de public qui préfère de loin écouter la nouvelle toune de Daft Punk.

Pensez-y rapidement. Nous avons le Festival international de jazz de Montréal, un événement qui attire des touristes par milliers chaque année, mais ce n’est qu’un festival parmi tant d’autres au Québec. L’OFF Jazz, qui a déjà été collé sur le FIJM sur le calendrier, passe complètement inaperçu à côté de lui. C’est pourquoi il a été déplacé en octobre, mais sa visibilité et ses budgets demeurent, malheureusement, limités. Québec fait son festival de jazz en ce moment aussi, et de nombreuses villes de différentes tailles offrent ce qu’ils appellent le plus pompeusement possible leur propre festival de jazz. Mais pourquoi s’acharner? Le genre a connu son apogée il y a trop longtemps et beaucoup de personnes semblent avoir une opinion négative du mot «jazz» et ne veulent pas changer cette vision de la chose. Nous en sommes dans ce paradoxe. J’ai longtemps cru que les jazzmen étaient des minorités ici, qu’une petite poignée de personnes seulement pouvaient faire autre chose que des festivals par-ci par-là ou des contrats corporatifs dans des cocktails. Mais quand j’ai vu que plus de 130 musiciens, dont probablement près d’une centaine sont à Montréal, participaient à l’OFF Jazz 14, j’ai réalisé que même si la scène jazz est très underground, des gens y croient assez pour se former des groupes, écrire des compositions originales, explorer divers styles, et risque de ne pas gagner autant que tout ce que leurs efforts méritent.

L’esprit de ce style à Montréal en est donc un d’entraide, de soutien entre musiciens. Tout le milieu se connait, tout le monde travaille avec tout le monde. Tout le monde se donne comme si c’était son dernier spectacle. C’est beau à voir, d’un sens. Mais dommage que le jazz ne soit plus considéré aussi sexy que «dans le temps», parce que ce style a repris une nouvelle jeunesse. Il n’est aujourd’hui plus question de dire avec certitude que tel artiste joue du bebop ou du fusion ou du free. Aujourd’hui, les artistes jouent selon leurs inspirations du moment, et s’amusent vraiment. Et ils croient véritablement en leur art.

J’ai acheté seulement quatre albums durant le dernier festival. Tous des artistes canadiens, la plupart de Montréal, qui offrent sur disque un travail irréprochable, inspiré, sincère. Je ne connaissais personne au festival avant d’y aller. Maintenant, je sais que l’OFF Jazz a accueilli des légendes qui vivent quand même à Montréal, même si New York offre beaucoup plus de possibilités pour évoluer.

Je vais clore en mentionnant quelques noms d’artistes qui, je crois, méritent que vous jetiez un coup d’œil à ce qu’ils font. Christine Jensen (saxophoniste, compositrice, chef d’orchestre), Pierre Tanguay (batteur), Cédric Dind-Lavoie (contrebassiste, compositeur), Chet Doxas (saxophoniste, compositeur), Matt Stevens (guitariste de New York, mais quelle intensité!), Jeff Johnston (pianiste et compositeur de Terre-Neuve), Lisanne Tremblay (violoniste, compositrice), Rich Irwin (batteur), Malcolm Sailor (pianiste, compositeur et un grand fan de Steve Day (ne posez pas trop de questions)), Marcin Garbulinski (contrebassiste, compositeur venant de Pologne), Kenny Bibace (guitariste), Christophe Papadimitriou (contrebassiste, compositeur), Alexandre Grogg (pianiste), Jacques Kuba Séguin (trompettiste, compositeur), Joel Kerr (contrebassiste, compositeur). Ils étaient tous présents à l’OFF Festival de jazz et m’ont touché par leur talent et leur sincérité. Évidemment, je ne dis pas de remplacer la pop d’aujourd’hui par du jazz (quoique…), mais si vous n’êtes pas entièrement fermé au style, gardez en tête qu’il y a de belles choses composées même après les John Coltraine, Charlie Parker et Miles Davis.

(Crédit photo : Michel Pinault)


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