
Sorti le 15 septembre 2023
Le quatrième album solo de la chanteuse Elisapie est très spécial, dans la mesure où elle délaisse les compositions pour se consacrer entièrement à des reprises, mais chantées en inuktitut, la langue maternelle de la chanteuse. Dans Inuktitut, elle se gâte donc avec 10 chansons incontournables des années 60 à 90, qu’elle se réapproprie avec beaucoup de grâce.
La sortie de cet album était attendue depuis un certain temps déjà : elle a dévoilé une première chanson dès le printemps 2023 et des singles se sont ajoutés régulièrement par la suite, suscitant chaque fois la curiosité des auditeurs. Le concept se veut plutôt simple, au fond : elle a choisi des chansons ont résonné jusque dans le Grand Nord québécois et qui ont dans plusieurs cas servi d’échappatoire pour elle, ses proches et sa communauté à une époque où les repères culturels et communautaires disparaissaient face à la colonisation. Elle a ensuite traduit ces chansons et leur a donné sa touche bien personnelle, dans un acte de réappropriation culturelle. Et la voilà qui les renvoie maintenant dans le monde, répandant au passage cette langue qu’on entend trop peu.
Isumagijunnaitaungituq (The Unforgiven) ouvre assez bien le bal avec un morceau qui délaisse les éléments hard rock de la version de Metallica, mais qui conserve encore une certaine lourdeur. Les arrangement vont définitivement ailleurs, mais l’attrait principal de la chanson reste évidemment la magnifique voix de la chanteuse. On ne comprend rien de ce qu’elle chante, mais on peut simplement apprécier ses paroles qui semblent écrites pour chanter cette mélodie sans que ça sonne forcé. On aurait d’ailleurs raccourci un tantinet la fin de la chanson, qui est une portion instrumentale, pour qu’on puisse se concentrer sur l’essentiel de cette relecture.
On a aussi droit à une version ralentie et plus vaporeuse de Sinnatuumait (Dreams) de Fleetwood Mac, qui convient parfaitement à la mélodie de la chanson. On sait qu’on a affaire à des classiques qui ont traversé le temps ici, mais on aime presque mieux la version d’Elisapie que l’originale pour cette piste en particulier; c’est tout dire! Quant à Taimangalimaaq (Time After Time), on démarre de façon plus feutrée, mais la chanson gagnera subtilement en intensité au fil de ses 4 minutes. Sans être aussi intense que Cyndi Lauper pourrait l’être vocalement, Elisapie livre vers la fin sensiblement la même énergie dans la chanson originale. Si elle avait voulu, elle aurait pu s’en distancier un peu plus pour nous surprendre davantage.
C’est d’ailleurs exactement ce qu’elle fait dans Qimatsilunga (I Want to Break Free). On reconnaît bien sûr la mélodie de la chanson de Queen, mais le ton et l’intention sont tellement différents qu’on en oublie presque la version originale, si ce n’était des lignes de guitare qui viennent nous le rappeler à l’occasion. Qaisimalaurittuq (Wish You Were Here) est aussi particulière dans la mesure où la vedette est volée par The Westerlies, un quatuor de cuivres qui donne une toute autre sonorité à cet incontournable de Pink Floyd. Ironiquement, l’album d’Elisapie joue surtout dans les sonorités folk, mais pour unes des chansons plus folk du lot de reprises, elle va dans une autre direction. C’est réussi, mais nous avons un bémol : une minute et demie juste de cuivres (sans le moindre mot), cela fait quand même long dans un album où l’attrait principal reste le chant en inuktitut.
Au fil de l’écoute, on réalise aussi que si on connaît ou apprécie moins une des chansons originales, la reprise d’Elisapie n’aura pas le même impact. C’est ainsi que, dans notre cas, on passe assez rapidement à côté de Californiamut (Going to California) de Led Zeppelin. Elle tente aussi de se réapproprier l’inimitable Inuuniaravit (Born to Be Alive), sans tout à fait réussir à trouver le bon ton pour cette reprise contagieuse de Patrick Hernandez.
Par contre, le premier contact qu’on a eu avec la musique de cet album est Uummati Attanarsimat (Heart of Glass), offrant une version plus introspective que dansante par rapport à celle de Blondie, ce qui donne une toute autre dimension à la chanson. Taimaa Qimatsiniungimat (Hey, That’s No Way to Say Goodbye) offre quant à elle une version épurée, avec presque la moitié a capella, qui donne des airs d’incantation à cette relecture intéressante de la chanson de Leonard Cohen. On en vient presque à trouver l’arrivée des autres instruments de trop, alors qu’on avait bien installé une ambiance avant leur arrivée. Et, comme dans le cas de Qaisimalaurittuq (Wish You Were Here), on est une minute et demie sans entendre Elisapie, qui laisse la place aux instruments pendant toute la portion finale de la chanson.Le dernier mot de l’album revient à Qimmijuat (Wild Horses), morceau reprenant les Rolling Stones avec douceur et finesse, donnant une toute autre énergie à cette chanson qui nous laisse plutôt tiède dans sa version d’origine.
Si on ne s’intéressait qu’au concept de l’album, il mériterait tout près d’un 10/10 sans hésiter. C’est incroyablement rafraîchissant à entendre et on espère que d’autres imiteront dans une certaine mesure la démarche d’Elisapie dans le futur. Dans l’exécution, c’est aussi règle générale assez réussi, si on oublie les petits commentaires qu’on a déjà formulés, mais on aurait certainement pu aller encore plus loin et, pourquoi pas, faire le même traitement à partir de chansons francophones. L’album Inuktitut demeure bien agréable à écouter et offre un compromis intéressant entre des chansons souvent archiconnues et une musique un peu plus feutrée, souvent émotive dans la voix de la chanteuse. C’est une bien belle façon de redécouvrir ces chansons et, à travers elles, la vie d’Elisapie. Quelques bonnes écoutes sont recommandées!
Il est notamment possible d’écouter les chansons de l’album sur Bandcamp.
À écouter : Sinnatuumait (Dreams), Uummati Attanarsimat (Heart of Glass), Qimmijuat (Wild Horses)
8,0/10
Par Olivier Dénommée
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