The Tortured Poets Department – Taylor Swift

Sorti le 19 avril 2024

À moins de vivre sous une roche ou sur une autre planète (ou mieux, sous une roche sur une autre planète), vous avez entendu parler d’une façon ou d’une autre du 11e album de Taylor Swift, The Tortured Poets Department, particulièrement attendu par des millions de Swifties comme de critiques musicaux qui n’ont pas le choix d’avoir une opinion sur cet album. Et comme on s’est tenu à jour sur sa discographie depuis l’ère 1989, on pouvait difficilement ne pas en avoir une aussi.

Il y a quelques éléphants dans la pièce, alors abordons-les tout de suite : même si on suit Taylor Swift depuis des années, on ne se considère pas nécessairement fan. Elle a fait de la bonne musique comme de la musique très générique et on a souvent rappelé tout le mal qu’on pense de ses chansons les plus populaires qui s’adonnent parfois à être les pires de son répertoire. À chaque nouvelle sortie, elle doit nous convaincre que ce qu’elle fait est bon, peu importe le nombre de Grammys qu’elle collectionne chez elle. Malgré l’immense plan de marketing entourant The Tortured Poets Department, on n’a pas embarqué dans la frénésie de sa sortie. On a quand même écouté l’album pendant 3 jours avant d’écrire ce texte, parce que ça reste une bonne bouchée à digérer.

Mention également à la «surprise» de l’album double à 2h du matin. À minuit, TTPD (comme c’est allègrement abrégé un peu partout où on lit sur l’album) sortait, lançant dans l’univers 16 chansons dans plus d’une heure de musique bien compacte. Ce n’est que 2 heures plus tard qu’elle nous révélait qu’il y avait une deuxième moitié à l’opus, ramenant le tout à 31 chansons et plus de 2 heures de matériel! Et ça, c’est sans que l’on sache ce qu’elle nous réserve pour d’éventuelles version deluxe, chose qu’elle fait presque systématiquement.

Enfin, dernier commentaire avant de commencer (car non, on n’a pas encore commencé!) : parfois, s’intéresser à ce que vit un artiste peut donner un éclairage différent à son art et lui donner un sens. C’était le cas pour l’album A Crow Looked at Me de Mount Eerie, qui a canalisé la peine du compositeur face au décès de sa conjointe pour composer un album d’une rare intimité. Dans le cas de Taylor Swift, loin de nous l’idée de minimiser sa rupture avec Joe Alwyn, avec qui elle a été pendant 6 ou 7 ans, mais c’est devenu un running gag au fil des années qu’elle aime utiliser ses ex pour écrire de la musique. Ça sonne juste moins vrai quand on la voit filer le parfait bonheur depuis 1 an avec le footballeur Travis Kelce dans une relation médiatisée à l’extrême.

Maintenant, débutons pour vrai, par le premier disque de cet album double :

Si Swift a derrière elle une machine dont n’importe quel auteur-compositeur-interprète ne peut que rêver d’avoir, avec notamment l’aide des producteurs Jack Antonoff (de Bleachers) et Aaron Dessner (de The National), cet album ne lève pas autant que ses plus récents. Si on n’avait pas eu le même amour pour Midnights et Evermore que pour Folklore, de loin notre préféré de sa discographie, ces deux albums comportent leur lot de chansons qui restent, souvent malgré nous, en tête et qui sont de petits bijoux de musique pop. Ici, malgré l’imposant album, on ne retrouve pas cette magie, ou si peu. Dans la chanson d’ouverture, Fortnight, Swift se prend vocalement pour Lana Del Rey et invite Post Malone pour un petit duo sympathique, mais pas exceptionnel. Le seul autre duo de l’album est Florida!!! avec Florence Welch (de Florence + The Machine), comporte quelques bonnes idées, mais rien qu’on n’a pas déjà entendu 100 fois, sans parler du refrain qui n’est pas à la hauteur de ce que peut normalement livrer Taylor Swift.

Parmi les meilleurs moments du premier disque, mentionnons la chanson-titre The Tortured Poets Department, qui offre une production intéressante (encore une fois, sans être emballante), et qui s’amuse à faire du name-dropping d’auteurs et musiciens. Apparemment, Charlie Puth, nommé dans le refrain, a gagné en popularité du jour au lendemain grâce à ça, confirmant à quel point Taylor Swift a de l’influence. Mention également Who Afraid of Little Old Me? parmi les chansons plus réussies du disque, bien qu’elle contient quelques longueurs qui auraient gagné à être coupées, l’efficace The Alchemy, ou encore loml (pour loss of my life), très jolie ballade piano-voix où on sent vraiment la chanteuse à son plus vulnérable.

Pour le reste, la plupart des chansons contiennent de bons éléments, mais ils sont soit pas assez forts pour nous amener à vraiment aimer la chanson, ou soit trop prévisibles pour mériter qu’on les mentionne. Rien ne sonne plus comme du Taylor Swift que du Taylor Swift en mode production intensive, ce qu’elle était quand elle a composé les chansons de cet album.

Notons quand même que certaines chansons délaissent les mélodies pour mettre le plus de textes possible dans une chanson. On comprend qu’elle avait des choses à dire, mais quand on ne s’intéresse pas aux potins sur sa séparation avec Joe Alwyn, ça rend l’écoute de So Long, London très plate, quoi qu’en disent les superfans qui voient la chanson comme un chef-d’œuvre.

Une dernière mention pour cette première moitié d’album : la chanteuse se référence elle-même vers la fin de sa chanson Clara Bow. C’est à ce point qu’elle est une référence populaire.

The Anthology

La seconde partie de l’opus s’intitule The Anthology et offre des chansons en général un peu plus courtes que la première moitié, offrant dans certains cas des pistes plus punchées. C’est ironique dans la mesure où souvent les albums perdent leur souffle dans la seconde moitié, mais ici, c’est seulement là que plusieurs des meilleures chansons arrivent enfin. Toutefois, fatigués par la première heure, plusieurs auditeurs vont simplement passer leur tour. Les écoutes sur Spotify après quelques jours semblent confirmer que beaucoup moins de gens ont poursuivi leur écoute au-delà de la première partie. Au fil des semaines et des mois, certaines chansons-phares sortiront probablement du lot et gagneront en popularité, mais pour le moment, on remarque que la longueur de l’album a été plus handicapante qu’autre chose.

Parmi nos préférées de l’Anthology, notons entre autres The Black Dog, The Albatross, Peter, Robin, ou encore la vraie finale de l’opus, The Manuscript. Ces chansons se démarquent par leur efficacité sans trop de flafla, même si, on se répète, peu de chansons sortent véritablement du moule qu’elle s’est fait elle-même. Par contre, on oublie le drama personnel qu’elle cache dans thanK you AImee, que les amateurs de potins associent à Kim Kardashian.

Plus on écoute les chansons et plus on trace des parallèles entre TTPD et 1989. C’est peut-être une coïncidence, mais on devine que le réenregistrement de 1989 s’est faite à peu près dans les mêmes temps que son nouvel album, ce qui aurait pu avoir une certaine influence sur le son du nouvel album, même si on maintient que les chansons de The Tortured Poet Department n’ont pas la même efficacité que 1989. Pour nous, toute l’énergie a été mise dans le hype entourant l’album, mais beaucoup moins pour réellement se surpasser musicalement. Quant aux thèmes, à moins de s’intéresser en détail à sa vie personnelle, ils ne viennent pas nous chercher spécifiquement. L’album reste (un peu) meilleur que Reputation, surtout grâce à sa deuxième partie, mais de là à dire qu’il mériterait de remporter plein de prix, on va se garder une petite gêne…

Tant qu’à régler les gros enjeux de société dans cette critique, répondons à la question que tout le monde va se poser d’ici les prochains Grammys : qui mérite le titre de l’album de l’année entre Cowboy Carter de Beyoncé et TTPD de Taylor Swift? Dans notre cas, si on nous demande ce qu’on préfère entre un album avec à la fois des tounes pas pires et d’autres très mauvaises et un autre essentiellement correct et prévisible du début à fin, mais qui ont en commun de tout avoir misé sur le marketing, on se permet d’espérer un autre challenger sérieux d’ici les prochains mois… On a droit de rêver.

À écouter : Disque 1 : Fortnight, loml // Disque 2 : Robin, The Manuscript

7,3/10

Par Olivier Dénommée


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