Evermore – Taylor Swift

Sorti le 11 décembre 2020

Taylor Swift a été généreuse en 2020, ne lançant pas un, mais bien deux albums surprises cette même année. On ne cache pas notre amour pour Folklore, mais Evermore, dont les chansons ont été composées par la suite en réponse au succès du premier, n’a pas eu le même effet instantané sur nous et cela aura pris beaucoup d’autres écoutes pour l’apprivoiser.

Car le marketing des deux albums veut qu’ils soient «frères» en plus d’être tous deux considérés comme une parenthèse folk dans la carrière de Taylor Swift. Or, Evermore semble ratisser beaucoup large dans ses choix de registres, tout en continuant de miser sur des refrains extrêmement pop qui rendent les chansons irrésistiblement accrocheuses, quoiqu’un tantinet prévisibles.

La première de l’album, Willow, est aussi le premier extrait de l’album. Sans être mauvaise, elle peine à se faire mémorable à nos oreilles (on assume notre position même si le single a été numéro 1 aux États-Unis, ce qui n’est pas un gage de qualité de toute façon). Les arrangements sont corrects sans être éclatants, et la mélodie est réussie sans vraiment se démarquer du reste de l’album qui a beaucoup mieux à offrir. Le son de la chanson est quand même bien représentatif de l’album, ce qui justifie quand même sa place en tout début d’opus. Au contraire, on se laisse embarquer par l’excellente Champagne Problems : beaucoup plus minimaliste, la chanson repose essentiellement sur la formule piano-voix avec un peu de guitare. Cela laisse donc toute la place à la mélodie et les paroles de Swift, qui a le don pour les ballades sentimentales et ne fait pas exception ici.

Gold Rush revient à un registre pop plus chargé. On aurait préféré des arrangements plus feutrés pour mieux «fitter» avec le reste de l’album, mais la chanson a de mémorable le fait que le titre du précédent album, Folklore, est mentionné. ‘Tis the Damn Season réussit mieux avec un folk discret, laissant toute la place à la chanteuse en pleine forme. Celle-ci livre des paroles très inspirées, livrant en quelque sorte l’envers du décor d’un film de Noël fait par Hallmark. Tolerate It appuie aussi sur les bons boutons, avec une ballade piano-voix, qui a toutefois de particulier d’être dans une signature inhabituelle (10/8), qui ne saute pas nécessairement aux oreilles tout de suite, mais qui explique certains passages où la mélodie est un peu plus difficile à suivre.

Taylor Swift fait un retour à ses racines avec No Body, No Crime, une chanson baignant dans l’Americana et le country. Pour l’occasion, elle invite aussi le groupe Haim à participer à l’enregistrement. Même s’il s’agit du deuxième single de l’album, on ne trouve pas la chanson particulièrement mémorable, même si elle utilise des paroles assez répétitives pour rester en tête facilement. La collaboration avec Haim n’est aussi pas si apparente qu’elle aurait pu l’être. On assume que cela reste une chanson bonbon pour ceux qui suivaient Swift depuis ses débuts. Happiness revient dans un registre plus ambiant et minimal, mais ne parvient pas à nous accrocher comme les meilleures de l’album réussissent à faire. On passe rapidement à la suivante, Dorothea, dans un registre country folk, qui, malgré nos réserves, donne un résultat plutôt intéressant.

Le troisième et dernier extrait de l’album est Coney Island, cette fois avec la participation de The National. Il faut dire que les frères Dessner étaient déjà impliqués dans la production de l’album, alors ils n’ont eu qu’à convaincre leur chanteur Matt Berninger de faire un duo avec Taylor Swift. Le résultat est touchant, avec deux voix qui se marient très bien ensemble et arrivent à raconter une histoire crédible, qui est d’une certaine façon l’inverse de la chanson Exile du précédent album, que l’on avait aussi beaucoup appréciée.

Plus un album est long et plus les risques sont élevés que des chansons se perdent entre deux craques, n’ayant jamais assez de lumière pour briller. C’est tristement ce qui arrive avec Ivy, morceau plus léger, ou Cowboy Like Me, autre chanson aux accents country, qui peinent à se démarquer. La suivante à retenir l’oreille est la très énergique Long Story Short, tombant dans un registre indie-pop difficile à ignorer, traitant avec une certaine légèreté les déboires passés de la chanteuse – c’est en tout cas l’interprétation que beaucoup en ont fait. Quant à Marjorie, elle rend hommage à Marjorie Finlay, sa grand-mère maternelle qui a eu une carrière de chanteuse d’opéra et qui est décédée en 2003. La chanson laisse place à un très long build-up, qui n’atteint jamais son apogée, laissant simplement place à une chanson sentimentale et nostalgique, mais pas mémorable outre mesure.

Closure est un drôle de cas, débutant avec des sonorités électroniques percussives, qui se font plus discrètes (mais ne disparaissent pas complètement) alors qu’on passe à la formule piano-voix qui a fonctionné assez bien pendant une bonne partie de l’album. Cette distraction nous fait moins apprécier le propos pourtant pertinent de Swift sur cette énième chanson parlant d’une relation passée. La fin de l’album arrive enfin (on parle quand même d’un album d’une heure) avec la chanson-titre Evermore. Le début est une ballade piano-voix somme toute réussie, mais le ton change dans la deuxième moitié pour laisser place à Justin Vernon de Bon Iver. On rappelle que c’était avec lui que le duo Exile avait été enregistré; la magie fonctionne toujours autant ici. Difficile d’imaginer une meilleure conclusion pour cet album.

Comme mentionné plus haut, cela aura pris plusieurs longues écoutes pour apprécier cet album, beaucoup plus que celles nécessaires pour Folklore. Les liens restent évidents entre les deux albums, enregistrés à quelques mois d’intervalle seulement, mais on sent que le résultat final d’Evermore est un peu moins peaufiné que son «grand frère». Cela n’enlève évidemment rien aux bijoux qu’ils renferme, mais l’album aurait certainement eu plus de punch s’il avait été raccourci de quelques chansons.

Version deluxe

Si vous vous dites qu’une heure de Taylor Swift, ce n’est pas assez, sachez qu’il existe une version avec 2 titres de plus. Right Where You Left Me ramène un peu de son énergie country, alors que It’s Time to Go revient à quelque chose de plus feutré, qui correspond mieux à la vibe générale de l’album. Contrairement à d’autres albums passés, on ne se plaint pas que les chansons bonus sont meilleures que celles de l’album «de base» et on comprend pourquoi elles ne sont que des bonus cette fois, mais si on a à choisir entre les deux, on préfère It’s Time to Go, qui renferme un message somme toute intéressant et un crescendo réussi.

À écouter : Champagne Problems, ‘Tis the Damn Season, Evermore // Deluxe : It’s Time to Go

7,8/10

Par Olivier Dénommée