Épilogue – San James

Sorti le 16 février 2024

Ça commence à faire un moment que l’on suit la carrière de la talentueuse San James (alias Marilyse Senécal), qui a d’abord commencé en anglais avant de passer au français avec son EP homonyme. Or, ce n’est que maintenant qu’elle se mouille avec un premier album complet, ironiquement intitulé Épilogue, que l’on attendait de pied ferme. On l’a longuement écouté.

Épilogue a quelque chose de très intime et autobiographique dans les textes, mais on joue habilement avec les ambiances du côté de la musique. Cela donne un résultat plutôt éclectique, mais où on se rattache à l’essentiel : la force de ses textes et tout particulièrement celle de ses mélodies, qui nous envoûtent depuis des années.

C’est l’extrait Rappelle-toi qui ouvre l’album, une valse aux sonorités nostalgiques, et au thème plutôt universel. Malgré une construction assez réussie, la forme de la composition semble amener San James à faire preuve de retenue, ce qui la rend beaucoup moins mémorable que souhaité, surtout pour un début d’album et un single. C’est tout le contraire dans Je n’habite pas chez moi, aussi un extrait, où on sent la chanteuse à son meilleur avec quelque chose de plus senti, à la limite de la sensualité, même si le propos ne va pas tout à fait dans la même direction. D’ailleurs, les textes valent eux-mêmes le détour, eux qui sont libérateurs tout en restant poétiques. «J’en ai assez des faux-semblants / De la honte et des gants blancs / Qui ne me servent plus à rien // J’en ai assez de faire semblant / Et d’excuser les absents / Qui n’ont pas su tenir ma main», entend-on avec plaisir pendant les refrains. C’est très, très efficace.

La retenue qu’on mentionnait dans Rappelle-toi fait son retour à quelques moments à travers l’album. C’est le cas dans Va savoir, qui s’écoute bien, mais sans nous rester en tête. Quant à La peur du vide, le refrain se montre efficace, mais ce sont surtout les textes et les ambiances créées par la chanson qui se démarquent. Après ces chansons, le single Fuir a toutefois l’avantage de frapper beaucoup plus fort, avec un morceau groovy où San James n’attend que de laisser aller, ce qu’elle fait avec brio dans ses refrains. Niveau paroles, l’autrice-compositrice-interprète se montre très vulnérable en même temps, donnant un autre mélange intéressant.

Le début de Coffre-fort nous laisse croire à un morceau atmosphérique autour du piano, instrument de prédilection de la musienne, mais on change vite d’énergie, pour quelque chose d’un peu plus chargé, mais tout aussi lent et mélancolique avec des paroles qui correspondent bien à l’énergie. Le maillon faible de la chanson est plutôt du côté des mélodies. Elle se rattrape au moins dans la suivante, Cent mille colères, morceau minimaliste d’une grande beauté sur tous les plans. La chanson est suivie de Bonne fête maman, enregistrement de répondeur datant de 1992 alors que Marilyse Senécal est un bébé et que sa grand-maman lui parle au téléphone. C’est indéniablement cute (et surprenant que ça se soit rendu jusque dans un album en 2024), mais après la première écoute, on passera vite à la suivante.

Après une Portage plutôt atmosphérique, on a droit à l’excellente Encore, où on a droit à un build-up très bien senti. Tous les ingrédients d’une chanson incontournables y sont, incluant des beaux textes, une instrumentation inspirée et des mélodies berçantes. Au moment de publier cette critique, la chanson n’était pas retenue comme extrait. La seule explication logique que l’on puisse imaginer est sa longueur, elle qui fait presque 4 minutes. Si c’est le cas, tant pis pour les radios! Par contre, la prochaine (et dernière de l’album), Les ponts, est un single. Pluôt solide aussi, la chanson nous convie à de petites montagnes russes alors que l’on joue entre les intensités. Pour nous, son principal défaut est d’arriver après Encore, sinon on n’a pas grand reproche à lui faire, elle qui conclut avec force ce premier album de San James.

Quand on crée des attentes avec une série de EP réussis sur une longue durée (son premier remonte à 2016, mine de rien), c’est toujours un grand défi de lancer un premier vrai album sans risquer de décevoir. On a été habitué à de sorties brèves, mais incroyablement punchées, alors qu’un album de 35 minutes laisse immanquabllement place à certaines chansons moins fortes, mais tout aussi pertinentes. L’équilibre demeure tout de même plutôt bon et le ratio entre les chansons mémorables et les plus «faibles» (on utilise le mot même aussi aucune chanson n’est mauvaise, tant qu’on exclut Bonne fête maman, qui n’est évidemment pas une chanson) est aussi très respectable. On espère que maintenant que l’abcès est crevé et que maintenant que San James a lancé son premier album, elle reviendra plus tôt que tard avec un deuxième album où elle continuera de nous offrir à la fois une musique forte et des paroles empreintes de vulnérabilité, un mélange que l’on a trouvé intéressant à plusieurs occasions ici.

Cet album est notamment disponible sur Bandcamp.

À écouter : Je n’habite pas chez moi, Fuir, Encore

7,8/10

Par Olivier Dénommée


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