Cowboy Carter – Beyoncé

Sorti le 29 mars 2024

Le 8e album studio de Beyoncé fait tellement jaser depuis son annonce, et encore plus depuis sa sortie, qu’il devenait difficile de l’ignorer. Cowboy Carter est décrit par plusieurs comme un album country, mais ne fait que nous rappeler que Beyoncé est la reine du marketing parce qu’elle peut faire croire qu’elle s’approprie n’importe quel genre sans vraiment avoir à changer ce qu’elle fait.

Beyoncé est un nom incontournable des scènes RnB et pop, et bonne chance à quiconque ayant quelque chose de mal à dire sur sa musique : il nous semble que c’est encore plus risqué de dire du mal de sa musique que sur celle de Taylor Swift, ce qui n’est pas peu dire. C’est pourquoi on a longuement écouté Cowboy Carter, un album de presque 80 minutes, avant d’écrire cette critique. Le country et le folk étaient mis de l’avant dans la promotion, mais il suffit d’écouter quelques chansons pour réaliser qu’on a autant affaire à de la pop, du RnB, du hip-hop, voire un peu de gospel. Ce n’est évidemment pas pour toutes les oreilles, surtout quand on a des attentes particulières, mais tentons quand même l’exercice.

Ameriican Requiem (notez que la plupart des «I» sont doublés dans les titres des chansons) ouvre l’album avec une certaine ambiguïté. Après un bref début gospel, on nous amène vers une musique entre des sons exotiques et une énergie à la A Little Less Conversation d’Elvis Presley, sans jamais autant lever et en ajoutant des cris étranges ici et là. Les refrains sont réussis, mais c’est à peu près tout. La fin revient à l’énergie du début, mais c’est évidemment trop peu trop tard. Si vous n’aimez pas Beyoncé en temps normal, vous ne l’apprécierez pas plus cette fois-ci, c’est officiel.

Elle se rattrape toutefois aussitôt avec Blackbiird (Blackbird des Beatles), chanson iconique à laquelle elle rend justice dans un folk simple et efficace, mais qui trouve le moyen d’ajouter 4 voix supplémentaires alors que la chanson ne dure que 2 minutes. La suivante, 16 Carriages, est décrite comme une ballade country, mais derrière les guitares, on reconnaît le côté spectaculaire de Beyoncé. La chanson est aussi un peu trop percussive pour être une véritable ballade. Quoiqu’il en soit, il s’agit avec raison d’une des chansons-phares de l’album, évitant la plupart des éléments superflus qui gâcheraient l’écoute. Et dans le cas de Protector, on endroit brièvement sa fille Rumi au début, mais la vraie beauté est la pièce folk rêveuse que Beyoncé nous propose. Coupez les dernières secondes et on a une chanson presque parfaite.

Durant moins d’une minute, My Rose ressemble davanage à un interlude, et est suivie d’une autre piste très brève, Smoke Hour ★ Willie Nelson (car oui, on y entend la voix du fameux chanteur country joue à l’animateur de radio). La suivante, Texas Hold ‘Em, est aisément la chanson la plus connue de Cowboy Carter. Elle reprend des thèmes propres au sud des États-Unis et emprunte des instruments country, mais ça reste du Beyoncé, avec tout le flafla que ça peut impliquer. C’est dansant et accrocheur, oui, mais ça ne va pas plus loin pour nous. Quant à Bodyguard, on oublie qu’on est supposé être dans un album country (car parler de guns ne suffit pas pour en faire une chanson country), mais ses mélodies pop ont leur charme.

On arrive à la partie la plus controversée de l’album : après l’interlude Dolly P (avec Dolly Parton elle-même), Beyoncé reprend le classique des classiques country, Jolene, en adaptant les paroles quelque peu. En effet, si Dolly implorait à la fameuse Jolene de ne pas lui voler son homme, Beyoncé est beaucoup plus assurée et la prévient qu’elle est mieux de ne pas se risquer. C’est une façon intéressante d’aborder la chanson, même si musicalement on s’en tient essentiellement au minimum, à l’exeception d’un pont plus chargé vocalement. Notre position : l’exercice de reprendre Jolene est intéressant, mais ultimement, après l’avoir écouté quelques fois, on passera probablement à autre chose. La chanson est suivie de Daughter, que l’on voit comme une possible suite de Jolene, alors que Beyoncé montre qu’elle peut effectivement sortir les griffes lorsqu’on la pousse à bout. Musicalement, on s’en tient à un folk plutôt minimaliste, si on oublie quelques lignes de cordes qui ajoutent à l’intensité du propos et le passage de Caro Mio Ben (un aria de Tommaso Giordani chanté en italien), qui donne un côté très épique à la chose!

Après des chansons réussies, Spaghettii oublie tout sens de la nuance en plongeant dans un hip-hop difficile à écouter (notamment gracieuseté de Shaboozey). Encore une fois, il ne suffit pas faire des bruits de fusil pour que ça devienne du country. Alliigator Tears passe mieux, mais comme il ne s’y passe pas grand-chose non plus, elle ne reste pas en tête outre mesure. On a droit à un autre interlude avec Willie Nelson, Smoke Hour II, puis à la chanson Just for Fun avec Willie… Jones. Le chanteur vole d’ailleurs la vedette ici dans cette chanson fort réussie. Comptons aussi II Most Wanted parmi les bons coups, cette fois avec Miley Cyrus.

Le problème avec une série de bonnes chansons dans un album long est que l’on a moins de patience pour les chansons «correctes» qui vont suivre. C’est pourquoi Levii’s Jeans (avec Post Malone), malgré quelques bons éléments, n’a aucun effet sur nous et que Flamenco passe complètement inaperçu. The Linda Martell Show est (encore) un interlude, qui mène à Ya Ya, que l’on préfère oublier alors qu’on a affaire à du Beyoncé plus qu’ostentatoire. Oh Louisiana ne dure pas une minute, mais elle paraît beaucoup plus longue à cause de sa voix désagréable qui prend toute la place. Desert Eagle est un autre morceau bref à oublier, menant à Riiverdance, qui tente un hybride douteux entre un country énergique et le RnB de Beyoncé. II Hands II Heaven est un peu la deuxième partie de cette chanson, et il faut admettre que cette piste a beaucoup plus de sens que les précédentes, sans être exceptionnelle en soi.

Même si on y inclut un featuring de Dolly Parton, Tyrant est du pur Beyoncé, sans grande surprise ici. Notons que la suivante, Sweet ★ Honey ★ Buckiin’ (avec Shaboozey), est infiniment meilleure que Spaghettii, mais pas sans son lot de longueurs. L’album se conclut sur Amen, se terminant essentiellement comme il a commencé pour faire concept. Bon flash, sans plus.

Quelques constats s’imposent sur l’album Cowboy Carter : premièrement, il n’y avait aucune raison de faire un album aussi long. Sur 27 pistes, la plupart sont du remplissage et la majeure partie de la deuxième moitié aurait simplement pu être sautée pour donner un meilleur résultat (la dernière vraiment bonne piste est la numéro 16!). Deuxièmement, ne prenez plus jamais au sérieux ceux qui disent qu’il s’agit d’un album country. Il y a bien quelques chansons qui correspondent au registre, mais c’est plus un clin d’œil qu’un nouveau genre que Beyoncé embrasse ici en mettant plus de guitares qu’à l’habitude dans ses tounes. Enfin, la critique semble avoir été unanime en faveur de l’album, et ce, même si la majorité des chansons sont à oublier. L’artiste a misé sur la quantité plus que sur la qualité, mais ça ne dérange visiblement personne… sauf nous. Si vous aimez Beyoncé d’un amour inconditionnel, ne vous empêchez évidemment pas d’écouter Cowboy Carter, mais si vous vous demandez si cet album peut être une porte d’entrée intéressante sur sa discographie, on vous conseille de chercher ailleurs. Entendons-nous, on ne dit pas que l’album est mauvais, mais les prémisses ont été faussées pour créer le buzz et la controverse, ce qui rend l’écoute plus difficile car on n’a pas le choix de se forger une opinion sur le sujet au lieu de simplement apprécier les chansons. Peut-être que dans 2-3 ans, il sera possible de juster écouter l’album sans se poser de questions sur son genre réel, mais pas pour le moment.

À écouter : Daughter, Just for Fun, II Most Wanted

7,0/10

Par Olivier Dénommée


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