
Sorti le 24 janvier 2025
Pierre Lapointe fait partie du paysage culturel québécois depuis plus de 20 ans, mais on a assez peu osé se pencher sur son impressionnante discographie jusqu’à présent. On se lance avec Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé, décrit sur son site web comme étant son 15e en carrière (!), paru tout récemment. Le titre a l’avantage de nous donner une petite indication de ce qui nous attend dans cette écoute.
Déjà, on a bel et bien affaire à 10 nouvelles chansons. Démodées? L’auteur-compositeur-interprète et ses complices, Philippe Breault (réalisateur, arrangeur et bassiste) et Ghyslain-Luc Lavigne (ingénieur de son), ont tenté de créer un album de chansons intemporelles, donc en dehors du concept de mode. «Tous les trois, nous sommes arrivés aujourd’hui à une certaine maturité artistique et je vois cet album comme un aboutissement, une concrétisation de toute cette expérience cumulée depuis maintenant plus de 20 ans», a exprimé Pierre Lapointe. Cela se traduit par un album à la fois complètement nouveau mais avec une approche qui paraît hyper familière dès la première écoute.
L’opus ouvre sur Toutes tes idoles, parfait résumé du concept de l’album, avec des textes à la fois très tristes (d’où le cœur abîmé du titre de l’album) et empreints de la nostalgie des idoles de la chanson décédées. Déjà là, c’est solide comme approche, mais les arrangements complètement le travail avec une montée bien amenée du début à la fin. Comme les grands de la chanson, les cordes et les cuivres occupent une place de choix, et ce sera le cas dans une bonne partie des autres chansons de l’album.
La formule fonctionne plutôt bien et on la retrouve assez vite dans Hymne pour ceux qui ne s’excusent pas, bien que l’effet ne soit pas aussi poignant que dans Toutes tes idoles; tout est dans le dosage, et cette dernière n’a pas le même niveau de nuances nous faisant apprécier les différents crescendos! Le propos invitant les opprimés à prendre leur place demeure toutefois très pertinent, doit-on préciser! On passe ensuite à la douceur et la vulnérabilité avec Comme les pigeons d’argile. C’est encore plus fort lorsqu’on connaît le contexte derrière la composition : la mère de Pierre Lapointe est atteinte de la maladie d’Alzheimer et il aura passé une année à la peaufiner avant de l’enregistrer – et ça paraît. Les arrangements ne sont pas flamboyants comme la plupart des autres pistes, mais les paroles du chanteur font tout le travail de bien belle façon.
On change à nouveau d’énergie avec Dans nos veines, allant vers quelque chose de plus technique dans les mélodies très rythmées. Si l’idée et l’exécution sont bonnes, la chanson vient beaucoup moins nous chercher, surtout entre 2 chansons plus douce, puisque Les étoiles guident les âmes suit juste après, revenant à un piano feutré et à un Pierre Lapointe émouvant vocalement. Le secret se veut un hommage à la musique de Burt Bacharach, et il est vrai qu’on sent un côté easy listening aux arrangements, beaucoup plus légers dans le ton que les autres chansons. Ça reste intéressant même si on préfère les chansons plus larmoyantes! Commentaire similaire pour L’amour est une bague, qui offre une chanson épique, mais pas aussi poignante qu’on l’aurait souhaité, malgré son propos.
Si vous avez reconnu Arrête de sourire, c’est normal : il s’agit d’une chanson composée par Pierre Lapointe pour Patrick Bruel, que l’auteur-compositeur-interprète a décidé de se réapproprier ici de bien belle façon, empreinte de mélancolie. Après, est-elle meilleure que la version de Bruel? Les 2 ont leurs forces, alors ça reste surtout une question de préférence, notamment dans le timbre dans la voix, la différence la plus marquante entre les interprètes. S’ensuit un autre morceau assez poignant, Madame, bonsoir (conversation inattendue avec la mort). Ici, la mort est personnifiée par une femme charmante, une approche intéressante face à ce sujet. Les arrangements, puissants dans leur discrétion, ajoutent au côté solennel de la chanson. La chanson aurait parfaitement pu se conclure après la barre des 4 minutes, mais on reprend de plus belle pour 1min20 de plus, concluant donc avec toute la charge émotive qu’on avait emmagasiné au fil de la chanson. Cela nous mène enfin à Où iront nos souvenirs, finale de cet album d’un peu moins de 40 minutes. Très feutrée, elle n’a pas exactement le même punch que les meilleures chansons de l’opus. Le passage orchestral de la fin est aussi trop doux à notre goût! Il aurait été judicieux de conclure avec davantage de mordant.
Si on ne peut pas dire que Dix chansons démodées pour ceux qui ont le cœur abîmé est un album parfait (et vous savez qu’on ne le dit jamais, de toute façon!), il faut reconnaître que Pierre Lapointe a véritablement respecté le concept qu’il a voulu créer, offrant un album solide, à la fois pertinent en 2025 et intemporel au point d’imaginer qu’il continuera d’interpréter ses chansons-phares dans les prochaines années. Moins flamboyant qu’il l’a déjà été, Pierre Lapointe livre simplement de la bonne musique, point, et on lui souhaite d’autres sorties de ce calibre dans le futur.
Il est notamment possible de trouver cet album sur la page Bandcamp de Pierre Lapointe.
À écouter : Toutes tes idoles, Comme les pigeons d’argile, Madame, bonsoir (conversation inattendue avec la mort)
8,0/10
Par Olivier Dénommée
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