
Sorti le 25 avril 2025
Artiste trans originaire de Toronto mais établi à Montréal, Bells Larsen a osé un concept très particulier pour son 2e album : il a enregistré sa voix en 2022, avant que celle-ci ne change sous l’effet de la testostérone, puis l’a enregistrée à nouveau par la suite, créant sur l’opus Blurring Time un improbable duo vocal avec lui-même. Les harmonies ajoutent à la symbolique de «s’harmoniser» avec son passé, alors que l’album aborde volontiers les thèmes du changement et de la transition.
Le concept en lui-même est surprenant, mais le ton avec lequel c’est amené l’est d’autant plus. Si l’album demeure un statement en soi, il est étrangement doux et empreint de sérénité dans plusieurs pistes. On se laisse volontiers bercer par la (ou plutôt les!) voix de Bells Larsen tout au long de la proposition indie-folk d’une trentaine de minutes.
L’album ouvre sur la chanson-titre Blurring Time, une valse folk presque berçante, mais Larsen est à son meilleur avec la suivante, la feutrée mais solide 514-415. Le ton de cette chanson indie-folk est intimiste jusque dans les paroles, éminemment personnelles. «When we met, I was a girl / Since then so much has changed / Now I could be your lover boy / If you’d still look at me the same», chante délicatement Bells Larsen. Quant à The Way the Wind Blows, on est surpris de constater que la voix féminine est dominante, montrant certaines nuances dans les arrangements.
Larsen se lance même en français dans Calme incertain. Il n’est évidemment pas aussi à l’aise dans cette langue, mais cette vulnérabilité linguistique constitue même une certaine force dans cet autre très beau morceau doux. Cette introspection se poursuit par ailleurs dans la suivante, Questions, voire dans la minimaliste My Brother & Me, qui est incroyablement intime dans le sujet abordé. Point bonus pour mentionner Jordan Peterson, personnalité publique qui n’est pas connue pour être amie de la communauté trans, sans l’envoyer promener!
On revient un moment à l’indie-folk sur Composured Veneer, puis on se risque à nouveau en français sur l’aérienne 143, pour un résultat plutôt réussi. Cela nous mène tout doucement à la finale de l’album, Might, résumant assez bien cet album à travers ses textes, traitant une fois de plus de sa transition. «Maybe it’s time / That moves through me inviting change». Si le sujet ne nous rejoint pas personnellement, sa sincérité dans le propos ne peut pas laisser indifférent.
L’album Blurring Time nous paraît presque trop court, et pourtant il dit tout, résumant avec une douceur musicale souvent désarmante la transition de Bells Larsen. Ce n’est pas du tout le genre d’album qu’on a l’occasion d’entendre sur une base régulière, mais il y a quelque chose de magique dans sa proposition; au lieu de complètement effacer son passé comme s’il n’avait jamais existé, l’artiste se l’approprie de magnifique façon et nous fait sentir son évolution, comme musicien et comme humain. Ça donne une proposition d’une grande beauté, qu’on a eu beaucoup de plaisir à écouter en boucle. Certains diront que l’album manque de variations et de pics d’intensité au fil de l’album, mais une fois de temps en temps, il faut se donner la chance de juste apprécier le moment d’introspection et c’est ce que Larsen nous propose.
L’album est notamment disponible sur la page Bandcamp de l’artiste.
À écouter : 514-415, The Way the Wind Blows, Might
8,0/10
Par Olivier Dénommée
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