
Sorti le 12 septembre 2025
Cela fait à peu près 9 ans qu’Émile Bilodeau est dans le décor, lui qui s’est fait connaître avec son premier album, Rites de passage, en 2016. Son style s’est avec le temps quelque peu peaufiné et le jeune irrévérencieux a de plus en plus assumé son côté engagé, sans perdre sa propension aux sacres ici et là (on est Québécois ou on l’est pas!). On a quand même manqué ses dernières sorties, jusqu’à ce qu’on tombe sur son dernier album, Bill aux îles, une sortie de nouveau matériel, mais enregistrée live. Vous le savez, on ne court pas particulièrement après les enregistrements en spectacle, mais on souhaitait entendre ce qu’il avait à nous offrir cette fois.
Tout d’abord, quelques mots sur le projet : Émile Bilodeau a passé quelques semaines à Havre-Aubert, aux Îles-de-la-Madeleine, pour écrire cet album. Le processus d’écriture a commencé en février 2024 et un spectacle solo a été organisé aux Pas Perdus le 16 mai suivant pour y jouer et enregistrer les nouvelles chansons. On ne sait pas combien de temps se laisse normalement l’artiste avant d’enregistrer ses nouvelles compositions, mais ici on sent que le résultat est encore assez brut, ce qui est accentué par le fait que c’est enregistré devant public avec le côté cabotin qu’Émile Bilodeau est aussi capable d’avoir en spectacle.
Dès Carte postale, Bilodeau sait flatter son public dans le sens du poil, faisant référence aux Îles, à Cap-aux-Meules et aux Pas Perdus, tout en parlant de sa relation à longue distance avec une certaine Flavie, qui vient du coin et qui est aujourd’hui sa blonde. Si la composition n’est pas exceptionnelle et que certaines rimes sont plus maladroites que d’autres, le concept fonctionne et montre un côté très honnête au chanteur. C’est à peu près l’énergie à laquelle on aura droit durant la totalité de la proposition. Check-list nous offre ensuite un petit moment de philosophie loin d’être bête, malgré certains choix artistiques à notre avis moins convaincants dans les dernières 45 secondes.
À 29 ans, Émile Bilodeau a écrit Crois-moi, une chanson dédiée à un éventuel fils, et il se défend étrangement bien lorsqu’il se laisse aller à son côté plus vulnérable. Juste après, Militer nous rappelle les convictions de l’artiste. Si la chanson a été enregistrée il y a plus d’un an, elle semble plus d’actualité que jamais aujourd’hui. Mention à la fin de la chanson, où il reconnaît sacrer beaucoup. Ce moment nous fait toujours bien rire, surtout qu’il n’a visiblement aucune intention de limiter cette habitude!
Bon choix d’Émile Bilodeau : il a fait une piste à part pour décrire sa prochaine composition. On a donc droit à (Présentation Havre-Aubert) qui dure 1min42, avec son langage toujours coloré et ses anecdotes d’écriture, avant d’entendre la vraie piste, Havre-Aubert, une pièce instrumentale représentant les vents puissants de ce secteur des Îles-de-la-Madeleine, où Bilodeau donne la mélodie à son harmonica. On ne pensait pas dire ça d’un chanteur à textes, mais il se défend plutôt bien même sans paroles! Et comme Militer, Faire la paix est extrêmement engagée socialement, critiquant à quel point les humains auraient l’air fou si des extra-terrestres venaient nous visiter et constater qu’on s’entre-déchire constamment. Le message est fort, et compense pour certaines petites faiblesses au niveau de la musique (certaines fins de phrases semblent forcées pour rentrer dans les lignes).
Il y a un intrus dans cet album, une chanson n’est pas une nouvelle composition, et qui n’est pas enregistrée pendant ce spectacle aux Îles : Ça va (tirée de son premier album!), devient ici Mauat tsham, une version (principalement) en innu-aimun, en duo avec Matiu. Cet enregistrement a plutôt eu lieu au Café-Théâtre Graffiti à Port-Cartier. Tout d’abord, mentionnons qu’on est heureux de constater que Ça va est encore aujourd’hui une chanson incontournable d’Émile Bilodeau. Deuxièmement, quelle belle idée d’Émile Bilodeau de traduire sa chanson dans une langue autochtone et d’apprendre le refrain et quelques phrases pour honorer la culture innue. Il nous semble qu’il y a assez peu de jeunes artistes qui prennent le temps de faire cet effort et, connaissant les positions politiques de Bilodeau, on salue le fait que les bottines suivent bel et bien les babines ici. Aimer la culture québécoise, ce n’est pas que chanter en français, mais aussi honorer les Premières Nations. Le fait que la version soit incroyablement sentie en spectacle n’est presque qu’un bonus!
On revient aux Pas Perdus pour les 2 dernières chansons de l’album. Son chat est plutôt humoristique, avec une histoire où le chanteur parle du chat de sa blonde qui s’est perdu et qui s’est fait tuer. Bon, après des chansons plus engagées, celle-ci n’a évidemment pas la même force! Quant à Paradis, on imagine qu’Émile Bilodeau a frôlé la mort, l’amenant à réfléchir comment il souhaitait mourir. Cela laisse place à quelques lignes très comiques, mais avec une certaine sincérité. La construction est un peu brute (faire rimer stage et safe space est un peu limite et on sent que même Bilodeau s’en rend compte en le chantant!) mais l’effet est bien là. C’est aussi une fin appropriée à ce bref album live.
Bill aux îles d’Émile Bilodeau est le cheminement logique pour lui. Pour l’avoir vu à quelques reprises dans un contexte de spectacle, on sait qu’il aime les gens et on le comprend d’avoir choisi d’enregistrer ses chansons devant public, surtout s’il a composé dans la solitude. Évidemment, enregistrer hors studio enlève de la finition au produit, et ça paraît tout de suite, mais au contraire, ça ajoute de la sincérité à ce qu’il nous propose. On n’a encore jamais visité les Îles-de-la-Madeleine, mais à entendre cette sortie, on réussit à ressentir à travers les réactions du public toute la chaleur humaine de cette communauté qui semble tissée serrée. C’est comme si le public des Pas Perdus était lui-même un instrument central de l’opus. On doute que ça aurait eu le même effet dans un autre contexte.
Vous pourrez trouver l’album sur la page Bandcamp de l’artiste.
À écouter : Militer, Havre-Aubert, Mauat tsham
7,9/10
Par Olivier Dénommée
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