CHRONIQUE : Soirée de guitares et d’émotions avec Suzie Auclair

Suzie Auclair

Par Olivier Dénommée

Le 13 novembre dernier était une soirée très spéciale à la Maison Villebon de Belœil : on a eu la chance d’assister à un spectacle mettant de l’avant une partie du répertoire pour guitare classique solo de la compositrice Suzie Auclair. Mais l’événement était plus qu’un concert musical, c’était un véritable statement de la part de la compositrice, qui persévère malgré son handicap causé par une maladie génétique très rare. Cela a donné des moments de grande beauté à la guitare, avec un bagage émotif puissant derrière le processus créatif des différentes œuvres au programme.

Comme toujours à la Maison Villebon, la petite salle était propice pour une ambiance intimiste. Une soixantaine de personnes étaient présentes pour l’occasion, venues entendre les compositions et l’histoire de Suzie Auclair. Même si elle n’était pas en mesure de jouer elle-même ses pièces, elle était présente à l’événement qui s’apparentait presque à une conférence puisqu’elle a pris le temps de raconter son parcours, d’enfant passionnée de musique et de guitare à musicienne professionnelle, jusqu’à ce que son état de santé se dégrade à cause de sa condition (le syndrome d’Ehlers-Danlos qui affecte notamment les tissus conjonctifs), la forçant à mettre fin à sa carrière d’interprète après avoir été déclarée invalide dès 2020. Elle est tout de même parvenue à continuer la musique, mais autrement : si elle traînait des compositions depuis des dizaines d’années, elle n’avait pas encore pris le temps de les terminer. Elle a donc donné un grand coup et a signé des œuvres à la guitare solo inspirées par les émotions qui la traversent.

Dans le cadre du concert de 75 minutes, elle a fait appel à 4 guitaristes de grand talent : Christ Habib, Karl Marino, Martin Verreault et Tariq Harb. Chacun a pris la scène à tour de rôle pour donner vie à la musique de Suzie Auclair. Même si elle ne pouvait pas interpréter ses propres créations, cette dernière a tout de même eu la chance de présenter chaque œuvre et d’expliquer leur contexte de création, des précisions qui ont certainement été appréciées du public, ressentant très bien les émotions véhiculées par les morceaux, souvent dédiées à des proches de la compositrice ou à des situations qui l’ont affectée. Même avant d’entendre la moindre note, on savait que la soirée serait riche en émotions.

Cela s’est confirmé dès les premières notes de la Suite no 1 «L’Inconditionnelle», où 3 mouvements ont été interprétés par Christ Habib. Cette suite où chaque mouvement est dédié à un membre de la famille de Suzie Auclair alternait entre les moments plus délicats et ceux plus actifs et a bien mis la table au reste de la soirée, confirmant que la compositrice sait toucher à de multiples registres. Il est aussi bon de mentionner que même si on parle de guitare classique, il n’y a rien d’atonal dans la proposition, rendant les œuvres très accessibles et faciles à apprivoiser, même quand on n’a pas un grand bagage en classique.

Le morceau en apparence le plus technique était probablement le second, Tremolo Sentito, joué par Karl Marino. Le défi était de jouer cette relativement longue pièce (15 pages de musique, jouée par cœur), avec un trémolo presque constant du début à la fin. On a toutefois été particulièrement saisi par l’interprétation d’Impromptu, composée avec Martin Verreault en tête, qui s’adonne à être guitariste et conjoint de Suzie Auclair. Tous les interprètes semblaient maîtriser ce qu’ils devaient jouer, mais dans ce cas précis, ça paraît que la pièce a été écrite pour lui spécifiquement, rendant son interprétation sans effort à travers les différents styles abordés, incluant des inspirations jazz. Il a aussi interprété avec brio Élégie en do mineur, écrite par Suzie Auclair en pensant à un ami parti trop tôt, donnant un autre moment très senti. La dernière œuvre au programme était Suite no 2 en si mineur, jouée par Tariq Harb. Cette pièce en 3 mouvements a été écrite à 3 périodes de sa vie, principalement associées à des moments difficiles. Il reste important de souligner que même si ce n’était pas une œuvre joyeuse, elle était loin d’être déprimante et contenait son lot de passages plus lumineux. Les applaudissements à la fin de la représentation ont été pleinement mérités.

Suzie Auclair, entourée des guitaristes Tariq Harb, Christ Habib, Martin Verreault et Karl Marino après le concert du 13 novembre à la Maison Villebon / Photo : Olivier Dénommée

Mentionnons au passage que certaines des œuvres au programme ont obtenu des récompenses dans le cadre de concours internationaux de compositions, principalement en Europe. Écrire de la belle musique qui fait du bien aux oreilles du grand public est déjà un bon début, mais quand Suzie Auclair séduit aussi des juges de calibre international, c’est signe qu’elle est capable de livrer à la fois une musique sérieuse et sentie.

Ce concert belœillois était le dernier de la saison pour le répertoire de Suzie Auclair, mais de nouvelles dates suivront dans la prochaine année et on ne peut que recommander ce spectacle si vous avez une affinité avec le classique, la guitare ou que vous aimez tout simplement la musique instrumentale et les messages inspirants de la part d’une véritable battante. De nouveaux projets devraient aussi se concrétiser pour elle dans le futur, incluant un documentaire scénique, qui doit servir à accompagner le spectacle, même en l’absence de la compositrice. Au cas où vous voudriez en savoir plus sur elle ou sa musique, vous pouvez visiter son site.

À venir prochainement : une entrevue avec Suzie Auclair, réalisée après le concert du 13 novembre.


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