
Par Olivier Dénommée
On peut dorénavant inscrire la date du 14 décembre 2025 comme étant celle où le public a pu faire la connaissance pour la toute première fois avec l’Orchestre symphonique Carmina (ou OSCAR) à l’occasion de son concert inaugural, tenu à l’église anglicane de Saint-Barnabas de Saint-Lambert. Pour un orchestre naissant de calibre amateur à semi-professionnel, la barre est déjà bien haute pour la suite.
Quelques mots sur la fondation de l’orchestre : des anciens de l’Association des orchestres de jeunes de la Montérégie (AOJM) ont voulu pouvoir continuer à jouer dans un orchestre de bon calibre sur la Rive-Sud de Montréal après leurs 25 ans, soit l’âge limite pour faire partie de l’Orchestre symphonique des jeunes de la Montérégie. Leur projet s’est concrétisé cet été et l’OSCAR est né, avec déjà une trentaine de membres qui se rencontrent chaque semaine depuis la mi-septembre afin de présenter 3 concerts par année. Ce nouvel orchestre demeure intimement lié à l’AOJM et les 2 organismes se partagent des partitions, des instruments et les lieux de pratique, un bon coup de pouce pour l’orchestre naissant. Quant à sa direction artistique, on a pu faire la connaissance du jeune chef Zachary Robert, qui, malgré ses 23 ans, rehausse grandement le niveau de rigueur de l’ensemble.
Concert varié et inspiré
Pour sa première carte de visite, l’Orchestre symphonique Carmina a concocté un premier concert proposant à la fois des airs connus et des morceaux de bon niveau technique pour bien mettre de l’avant le talent des musiciens. La pièce de résistance du concert était la Symphonie no8 en sol majeur, op. 88 de Dvořák, une œuvre d’une quarantaine de minutes. Environ 150 curieux ont par ailleurs rempli l’église Saint-Barnabas pour entendre ce que l’OSCAR avait vraiment dans le ventre.
Mais un bon concert tenu à la mi-décembre ne peut pas se faire sans quelques airs de Noël. Le chœur de l’église a justement collaboré au concert en proposant un peu plus d’une quinzaine de minutes de chansons afin de réchauffer la salle (et permettre aux retardataires d’arriver!) avant l’arrivée de l’orchestre. On entend personnellement assez rarement des chorales d’église à l’œuvre, surtout en dehors du contexte d’une messe, mais celle-ci nous a bien impressionné par sa justesse et la puissance vocale malgré son relativement petit nombre de membres. Seul problème lorsqu’on nous propose une mise en bouche de ce calibre : ça rehausse déjà la barre pour le vrai concert avant qu’une seule note ne soit jouée!

On a senti que les musiciens étaient fébriles de monter sur scène pour la toute première fois sous cette identité, mais la magie a vite opéré dès que Zachary Robert a levé sa baguette, débutant avec l’Ouverture académique, op. 80 de Brahms, morceau festif qui a vite donné le ton à cet après-midi en musique. Si l’orchestre était visiblement très entassé sur la petite scène, cet inconfort ne s’est pas traduit par des erreurs d’interprétation et le chef d’orchestre a su mener sa troupe à bon port par un style très expressif.
Entre les pièces, Zachary Robert jouait aussi au pédagogue, expliquant le contexte des compositions abordées, un exercice qui a semblé être très bien accueilli par le public. On en a très vite oublié son âge! Il a aussi rappelé avec justesse que les gens présents vivaient un moment unique : la naissance d’un nouvel orchestre, un fait maintenant assez rare de nos jours. Justement, le titre du concert, «Rêve & réalité», est un clin d’œil au fait que les fondateurs ont eu un rêve de fonder leur orchestre, et que celui-ci est finalement réalisé.
La première partie du concert s’est poursuivie en beauté avec l’Intermezzo de l’opéra Cavalleria Rusticana de Pietro Mascagni, morceau plus lent mettant de l’avant toute la beauté des cordes, avant d’offrir un air des fêtes avec Sleigh Ride, qui prenait même un air un peu jazzé dans son interprétation. En une vingtaine de minutes, on a donc pu explorer différentes énergies, toutes menées assez naturellement par l’orchestre, augurant assez bien pour le reste du concert!
Après une petite pause, tout le monde était prêt à entendre la fameuse symphonie de Dvořák, une œuvre costaude de 40 minutes pourtant composée en 17 jours! Zachary Robert a aussi donné un défi important au public : se retenir d’applaudir avant la fin des 4 mouvements. C’est, selon notre propre expérience, plus souvent qu’autrement un échec surtout lorsqu’on n’a pas affaire à un public habitué d’aller voir des orchestres de haut niveau à l’œuvre. Et pourtant, l’église Saint-Barnabas est restée étonnamment disciplinée entre chaque mouvement qui nous offrait à peu de frais un voyage jusqu’en Tchéquie, où Dvořák est né, pour mieux exploser à la toute fin, livrant une ovation debout franchement méritée. Difficile de bien résumer une œuvre de 40 minutes, mais disons que l’on comprend parfaitement pourquoi Zachary Robert a choisi celle-ci pour établir dès maintenant le niveau de son jeune orchestre. Le concert d’environ 2h s’est toutefois conclu sur un autre air des fêtes, Christmas Festival, permettant de terminer sur une note infiniment plus festive et de repartir le cœur léger!
Tout donné
Quelques minutes après le concert inaugural, Zachary Robert a confirmé en entrevue ce qu’il a été possible de constater de la salle : les musiciens de l’Orchestre symphonique Carmina ont tout donné pour faire une première bonne impression et c’est mission accomplie pour lui. Il explique d’ailleurs que son propre style de direction est inspiré par celui de son mentor Jean-Marie Zeitouni, qui est plus minimaliste en répétition, mais qui devient extrêmement expressif pendant un concert. «Quand on a l’impression d’avoir été au maximum de ce qu’on peut aller en répétition, il ne nous reste plus rien de plus à donner en concert», illustre-t-il. Le pari a bien fonctionné!

Il admet aussi après coup qu’il ne savait pas si les pièces choisies pour ce premier concert étaient du bon niveau, ne connaissant pas d’avance le calibre de l’orchestre naissant, mais le concert lui aura finalement donné raison : les musiciens moins avancés ont mis les bouchées doubles pour atteindre le niveau requis et il était impossible vu de la salle de deviner que la toute première répétition n’avait eu lieu que le 18 septembre dernier.
Zachary Robert, qui achève ses études au Conservatoire, a collaboré à plusieurs orchestres bien établis depuis le début de sa formation, mais il est conscient de la chance immense d’être là pour la naissance de celui-ci. Le défi de créer une tradition de toute pièce est pour lui bien différente de celle de joindre un orchestre qui a déjà sa propre histoire. «Quand tu arrives dans un orchestre établi, tu as beau vouloir interpréter une pièce différemment, les musiciens la jouent quand même de la même façon depuis 50 ans! C’est toi l’outsider. Avec l’OSCAR, la tradition, c’est ma tâche de la créer et de bâtir du répertoire pour l’orchestre. C’est un beau défi de tout de suite établir de bonnes bases pour la suite.» Il rappelle que si le chef d’orchestre est bien souvent la tête d’affiche de l’orchestre qu’il dirige, il demeure ultimement «au service de la musique et des musiciens», et pas l’inverse.
Devant le succès de ce premier concert, il demeure bien humble et assure qu’il ne va pas s’asseoir sur ses lauriers, blaguant que si le concert s’était mal passé, il aurait au moins pu promettre au public qu’il ne pourrait que s’améliorer, mais que ça ne sera pas facile de toujours maintenir un tel niveau de qualité sans effort! À peine le concert terminé, les musiciens se mettent déjà à la tâche pour préparer leur prochaine performance, prévue en mars 2026, annonçant déjà l’Ouverture 1812 de Tchaïkovski et de la musique de films. Il est toutefois possible que l’orchestre déménage dans un autre endroit légèrement plus grand pour permettre à ses musiciens de respirer sur la scène, surtout qu’on attend des membres supplémentaires dès le début 2026!
Pour un tout jeune orchestre symphonique basé sur la Rive-Sud de Montréal, l’Orchestre symphonique Carmina (qui n’aura probablement pas le choix d’un jour inclure Carmina Burana à son répertoire, sans quoi ce serait une occasion ratée monumentale!) part d’un bon pied. Plus d’infos sur l’orchestre, son chef, ses concerts et son recrutement ici.
(Toutes les photos : Carl Chevalier)
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