Les gens qu’on aime – Philippe Brach

Sorti le 31 mars 2023

Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas écouté de nouvelle musique de Philippe Brach, plus exactement depuis 2017, à la sortie de son album Le silence des troupeaux. Il aura ensuite mis 5 ans et demi avant de faire paraître Les gens qu’on aime, sa nouvelle offrande studio. On a l’habitude des chansons assez particulières de Brach et on n’en attendait pas moins avec cet album. On a été servis.

L’album ouvre avec la chanson-titre Les gens qu’on aime. Et les paroles sont «Hey, les gens qu’on aime vont tous mourir», suivi d’un rire de vilain de James Bond. Aucun doute, Philippe Brach est bel et bien de retour! Après cette entrée en matière surprenante, on a droit à une pièce instrumentale assez lente, mais pas au point d’être déprimante malgré le statement précédent. On s’attendait à entendre de nouveau la voix de Brach quelque part, mais il laisse finalement toute la place à ses (talentueux) musiciens qui arrivent à créer une ambiance assez réussie.

C’est à Last Call que ça commence vraiment, avec un début assez folk, mais qui prend vite de l’expansion. Quant à la poésie de Brach, elle semble demeurée intacte avec les années. L’attitude dans la chanson nous rappelle un peu l’énergie d’un Jean Leloup, particulièrement lorsqu’il répète de plus en plus fort «J’oublie maisje le sais», vers 2min15. Soleils d’automne démarre avec quelques quelques mots chantés par Brach, qui se retire toutefois après une quarantaine de secondes pour laisser toute la place à la musique pour le reste de la piste, qui a des relents plutôt épiques par moments. On réalise donc que la musique occupe vraiment une place importante, presque plus que les paroles (qui sont pourtant une des marques de commerce de Philippe Brach) dans cet album.

Tic tac est la première chanson plus difficile à écouter de l’opus, avec une musique quelque peu étourdissante. Mais, en écoutant les paroles, on devine que ce ne sont peut-être pas vraiment des tic tacs que le chanteur a mis dans sa bouche, finalement… Puis, Un peu de magie nous surprend avec différentes énergies au fil de la chanson, dont l’une d’elle qui nous rappelle un peu le son du groupe Corridor. Et, avec un tel titre, Brach s’amuse à ajouter à deux endroits sa voix d’animateur de spectacle pour enfants, où il dit «Bonjour les amis», puis, plus tard, «Quel bonheur de vous voir». C’est bizarre, mais ça réussit à être accrocheur malgré tout, ce qui n’est pas peu dire.

Ça tranche aussi drôlement avec l’énergie de la suivante, la lente et mélancolique Tu veux te tuer, c’est bien ça?. Ironiquement, le titre de la chanson est à peu près la moitié des paroles qu’on y entend, à la toute fin seulement de la piste de 2 minutes. «Tu veux te tuer / Je t’aime / Et te comprends / T’en va pas», se contente de chanter Brach, baigné dans une lourde réverbération. La suivante, J’ai de l’air, n’est pas plus «bavarde» avec seulement un bref couplet, cette fois en début de chanson, laissant presque 2 minutes de musique instrumentale pour le reste de la piste.

Plusieurs critiques ont mentionné le côté plus accessible de Révolution (la chanson), qui est effectivement énergique et avec un Philippe Brach bien en forme au niveau des textes. Il a probablement trouvé dans le dictionnaire les mots qui ressemblaient le plus à «révolution» pour les ploguer dans la chanson, que ce soient démolition, résolutions, prémonition et évolution. Mais quelque chose se passe dans l’avant-dernier couplet, où le chanteur commence à chanter un peu n’importe quoi, tout en restant sur la note. Cela culmine avec un segment de quelques secondes qui paraît comme une éternité où on entend des sons de noyade… pour revenir à la musique énergique comme si de rien n’était pour finir le tout. Il fallait se douter qu’il n’allait pas juste offrir une bonne toune qui serait capable de passer à la radio commerciale, quand même! À ce stade, vous connaissez probablement notre avis sur l’ajout d’éléments qui rendent volontairement une chanson plus difficilement écoutable, mais cela fait, à notre grand regret, partie intégrante de l’approche artistique de Philippe Brach, alors on n’a pas trop le choix de vivre avec si on veut continuer d’écouter sa musique.

Autre chanson surprenante, Ôk Canada nous livre sa version très personnelle de l’hymne national canadien, de façon bilingue. Venant de Philippe Brach, qu’on devine plus proche des mouvances souverainistes que fédéralistes, ça ne manque bien sûr pas d’ironie. On remarque aussi que la chanson est faite avec un nombre restreint de musiciens, privilégiant même une drum machine, comme s’il nous disait que ça ne vaut pas la peine de faire travailler trop de monde pour ça.

On revient ensuite à du Phil Brach pur jus avec Les oiseaux migrateurs. Une musique guitare-voix assez simple, laissant place à ses textes plutôt directs. La chanson n’est pas très longue et nous amène rapidement à la finale, Bonne nuit, un morceau aussi plutôt bref, et pleinement instrumental, qui n’est pas sans rappeler la mélancolie qu’on a pu entendre dans la chanson-titre et Tu veux te tuer, c’est bien ça?, tous deux sur le thème de la mort.

L’album Les gens qu’on n’aime n’est pas un album facile à écouter, au cas où ce n’était pas encore clair. Les portions plus accessibles sont souvent «sabotées» pour qu’elles ne le soient pas trop, mais on ne peut pas dire que cet album d’à peine 31 minutes n’est pas intéressant dans ses propositions, que l’on n’a toutefois pas la prétention de pleinement saisir, même après de longues écoutes. On ne peut toutefois pas dire que les imperfections sont par manque de talent, alors que Brach s’est entouré d’une équipe très solide. On nous avertit d’ailleurs que tout a été enregistré «tout le monde en même temps, pas de click», demandant de pardonner toute irrégularité dans le tempo, mais c’était probablement davantage un prétexte pour insérer la ligne de presse «Pardonnez-nous les boutes où ça pousse, pis ceux où ça écrase, comme nous pardonnons nous aussi à ceux qui poussent et qui écrasent. Amen», puisqu’on a peiné à trouver des bouts moins tight musicalement à travers cet album.

On a bien aimé Portraits de famine à l’époque, qui a donné des chansons mémorables qui font encore partie de ses incontournables en spectacle. On ne sait pas encore à quel point celles de Les gens qu’on aime auront la même vie, à moins que Philippe Brach accepte de retirer quelques éléments irritants ici et là… Ne nous trompons pas, les compositions sont solides et montrent la plus grande maturité de l’artiste, mais il a aussi fait des choix artistiques qui rendent cette excellente musique malheureusement moins accessible pour le grand public. Et c’est dommage parce que davantage de gens devraient l’écouter!

Il est notamment possible de se procurer l’album sur la page Bandcamp de l’artiste.

À écouter : Last Call, Un peu de magie, Tu veux te tuer, c’est bien ça?

7,7/10

Par Olivier Dénommée


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