
Par Olivier Dénommée
C’est sous le signe de la découverte que j’ai assisté à un concert de l’Orchestre Métropolitain, qui présentait sur 3 jours dans différentes salles le concert Tout feu tout flamme, avec au menu du Prokofiev, du Garūta et du Dukas, sous la direction du chef d’orchestre Kensho Watabane et avec la présence de la pianiste soliste Élisabeth Pion. En bref : c’était un après-midi qui valait franchement le détour, surtout qu’on a eu le plaisir d’assister au troisième et dernier concert de la série, le dimanche 21 janvier à la Maison symphonique de la Place des Arts.
Depuis que je ne vis plus à Montréal, je n’assiste plus autant à ses concerts classiques que ce que j’aimerais, mais j’ai eu un prétexte de faire le détour pour voir Élisabeth Pion, une artiste que je suis depuis quelques années, en performance. Elle était la vedette du Concerto pour piano de Lūcija Garūta (1902-1977), une compositrice lettone trop peu connue ici. Pion a fait un impressionnant travail de recherche et s’est même rendue à la demeure de la compositrice à Riga pour voir dans quel milieu elle a vécu et a composé; elle a même eu accès à ses partitions manuscrites, à son piano et a des enregistrements de Garūta elle-même, lui donnant l’occasion de découvrir la femme derrière les partitions. Pour les curieux, un petit film a d’ailleurs été fait pour documenter sa démarche. J’avais donc hâte d’entendre cette œuvre en particulier, mais aussi le reste du programme, que je vais aborder dans l’ordre.
Dukas, L’Apprenti sorcier
Comme tout est dans tout, Garūta a étudié la composition sous Paul Dukas pendant ses années à Paris. C’est donc avec son œuvre L’Apprenti sorcier que le concert s’est enclenché. Il s’agit d’un poème symphonique composé en 1897. J’étais persuadé, comme plusieurs d’entre vous probablement, de ne jamais avoir entendu une telle œuvre, mais le thème était étrangement familier… c’est que l’œuvre a effectivement traversé le temps grâce au film Fantasia de Disney, où on voit Mickey Mouse en apprenti sorcier tenter de contrôler un balai pour lui faire faire son travail à la place. Nul besoin de dire que c’est extrêmement efficace à entendre et que cette œuvre n’a pas pris une ride. Le seul défaut ne venait pas de la composition ni de l’orchestre, mais plutôt du public qui avait la fâcheuse habitude de tousser bruyamment pendant les segments plus doux. On ne peut pas tout avoir!
Garūta, Concerto pour piano
Ensuite, place à Élisabeth Pion, qui a été sublime, rien de moins, dans son interprétation du Concerto pour piano de Garūta. En introduction du concert, elle a précisé que la compositrice ne s’inscrivait pas tout à fait dans le courant soviétique, ni dans l’impressionnisme français, et donc que cette œuvre «dissidente» résumait un peu toutes ses influences disparates. La composition faisait aussi suite à un deuil, mais contenait aussi une dose d’espoir. Il est vrai que l’œuvre ratissait plutôt large avec des passages tantôt très énergiques, tantôt plus mélancoliques, le tout avec une grande beauté. Et je ne sais pas comment le dire autrement, mais le troisième mouvement sonne comme le printemps. Pendant toute l’interprétation, une question me trottait dans la tête : pourquoi cette œuvre magnifique ne s’est jamais rendue à mes oreilles plus tôt? Car elle a été très peu enregistrée jusqu’à présent et n’a jamais été jouée en Amérique du Nord avant que l’Orchestre Métropolitain et Élisabeth Pion ne s’y penchent. Vraiment une belle découverte.

Mais, petit bémol : il arrivait à plusieurs moments de perdre le piano, enterré par le reste de l’orchestre. Je ne sais pas à quel point c’était voulu dans l’interprétation, mais c’était dommage de voir les doigts de la pianiste s’agiter à toute allure et ne rien entendre de ce qu’elle jouait.
Prokofiev, Symphonie no 5
Après un entracte bien mérité d’une vingtaine de minutes, la pièce de résistance du concert était la Symphonie no 5 de Sergueï Prokofiev, probablement la plus connue et parmi les plus appréciées de son répertoire. Maestro Watanabe a rappelé en début de concert que cette symphonie a été composée en pleine Seconde Guerre mondiale, alors que le compositeur russe se trouvait lui-même en pleine Union soviétique. Le climat guerrier et le sentiment de l’approche de la victoire marquent la composition, ce qui s’entend rapidement à travers ses 4 mouvements. Je vous épargne l’analyse, mais quand on connaît le contexte de l’écriture, on arrive tout de suite à imaginer à quoi font références les différents thèmes et énergies retrouvés à travers cette symphonie. Disons que les portions plus explosives de l’œuvre justifiaient presque à elles seules le titre du concert Tout feu tout flamme, mais qu’on retrouvait aussi plusieurs passages plus furtifs, émotifs, ou carrément de haute voltige musicale. C’était une interprétation particulièrement enlevante que nous offraient Kensho Watanabe et l’Orchestre Métropolitain.
Pendant le concert, on a heureusement passé sous silence le fait que 80 ans après sa composition, la Russie est (encore) en guerre, mais que cette fois elle ne se trouve pas nécessairement du bon côté de l’Histoire.

Vous l’aurez compris, j’ai eu de la difficulté à trouver de réels défauts à cette solide performance de l’Orchestre Métropolitain dans le cadre de ce concert Tout feu tout flamme. L’OM fait un excellent travail de faire la promotion d’artistes qui n’ont pas nécessairement été mis de l’avant autant qu’ils l’auraient mérité tout en n’oubliant pas les incontournables du répertoire classique. Même en l’absence de Yannick Nézet-Séguin, il a été possible de découvrir un chef d’orchestre jeune et dynamique en la personne de Kensho Watanabe. Cela donne des programmes très intéressants comme celui entendu ces derniers jours. Ce n’est évidemment pas donné d’assister régulièrement à ce genre de concerts – un autre petit défaut qu’il faut prendre en considération pour le commun des mortels –, mais il ne fait aucun doute après avoir eu droit à autant de frissons et de moments de beauté en si peu de temps que chaque dollar en valait la peine.
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