
Sorti le 4 octobre 2019
On se demandait quel artiste ou groupe représentait le mieux le Québec et sa musique et le nom du groupes Les Cowboys Fringants est vite venu en tête, lui qui est dans le décor depuis 1995 et qui a fait pleurer tout le monde ces dernières années avec la détérioration de la santé puis le décès de son chanteur Karl Tremblay en novembre 2023. Ça nous a amené à replonger dans sa discographie, en particulier l’album Les antipodes… paru peu avant la pandémie et le diagnostic de cancer, mais qui prend un autre sens quand on l’écoute en sachant ce qui s’en vient.
Depuis qu’il est connu, le groupe a obtenu beaucoup de succès, notamment de la critique, mais il nous semble que c’était un peu plus «tranquille» dans les années 2010, alors que Que du vent (2011) et Octobre (2015) ont connu quelques hits, mais jamais au niveau de Break syndical (2002) par exemple. Que la très ordinaire Marine marchande soit reconnue comme une des chansons-phares du groupe nous en dit long sur le déclin de cette décennie – nos excuses à ceux qui l’aiment.
Les antipodes arrive donc dans un bon moment, tout particulièrement avec sa puissante L’Amérique pleure, un peu devenue malgré elle par la suite la chanson représentant la dégradation du climat social partout dans le monde, tout particulièrement exacerbée depuis 2020. Les Cowboys ont toujours su dénoncer les travers de la société par le passé, mais ils visent plus juste que jamais avec cette chanson, sans tomber dans un ton moralisateur, y allant plutôt avec un constat triste et impuissant, le tout avec une musique inspirée et instantanément mémorable. Bref, c’est à du très bon Cowboys Fringants qu’on a droit ici!
Ceci étant dit, l’album Les antipodes contient 9 autres chansons, et aucune autre n’a autant circulé que L’Amérique pleure. Dans la pure tradition des Cowboys, on mélange les chansons très engagées socialement, les chansons humoristiques et les chansons mélancoliques. Les maisons toutes pareilles, plus énergique que L’Amérique pleure, y va aussi d’un constat assez déprimant de l’état de la société, où on peine à trouver le bonheur même si on a tout ce qu’on devrait vouloir selon les standards. «Et comme des milliards d’humains / J’me ferai croire que tout va bien / Tant que s’lèvera le soleil / Sur les maisons toutes pareilles», résume bien le message de la chanson.
On change complètement d’énergie avec Suzie Prudhomme, humoristique à souhait, mais aussi étrange que la personne décrite dans la chanson. On comprend que la Suzie en question n’existe pas, mais il y a de bonnes chances que vous ayez croisé une personne qui correspond à peu près à ce profil dans votre vie! La chanson est suivie d’Ici-bas, très jolie chanson d’espoir dont le groupe a le secret, avec en prime des arrangements très réussis avec beaucoup de cordes.
On passe à une partie très cabotine de l’album, avec Saint-Profond, rigolant d’un trou perdu en région avec tous les clichés qui y sont associés (qui n’est pas sans rappeler un exercice similaire fait par François Pérusse avec St-Néant), Mononc’ André, «nostalgie» hyperactive du vieil oncle alcolo pendant les fêtes en famille, et La traversée (de l’Atlantique en 1774), qui transforme un récit historique assez difficile (mourir du scorbut est difficilement festif) en toune à boire qui aurait aisément pu être écrite par un groupe de folk metal scandinave. On doit admettre que cette dernière est plutôt efficace!
Ceux qui veulent plus de chansons déprimantes comme L’Amérique pleure et Les maisons toutes pareilles sont servies avec D’une tristesse, dans le même état d’esprit, bien que les arrangements sont un peu plus inégaux; on comprend que le groupe a essayé d’aller ailleurs avec cette chanson. Johnny Pou est un autre personnage coloré, cette fois un loser dans la trentaine incapable de faire quoi que ce soit d’utile de sa carcasse. Il y a de bonnes chances qu’on connaisse quelqu’un comme lui et il serait mieux de ne pas lui faire écouter la chanson, parce que ça écorche un peu! L’album se termine avec Sur mon épaule, magnifique pièce d’un couple qui traverse les embûches ensemble, même quand c’est difficile. Personne n’aurait prédit que la chanson prendrait tout son sens avec la maladie de Karl Tremblay. Quoi qu’il en soit, on pouvait difficilement conclure de meilleure façon cet album.
On l’a déjà dit par le passé, mais on n’a jamais eu un attachement intime à ce groupe, qui a fait de très bonnes chansons qu’on écouterait en boucle et d’autres qu’on est tanné d’entendre quand elles passent à la radio. Avec Les antipodes, on a droit à ces 2 facettes, avec une moitié d’album touchante et une moitié cabotine, vraisemblablement faite pour alimenter les spectacles où c’est généralement mieux d’avoir des tounes énergiques que des tounes déprimantes. Reste qu’objectivement, l’album est franchement réussi, bien qu’on ne l’écouterait pas dans son intégralité en boucle dans un autre contexte que cette critique.
À écouter : L’Amérique pleure, Ici-bas, Sur mon épaule
8,0/10
Par Olivier Dénommée
En savoir plus sur Critique de salon
Abonnez-vous pour recevoir les derniers articles par e-mail.