
Sorti le 4 octobre 2024
Il y a de ces projets plus grands que nature qui surprennent par leur simple existence. Le projet Héritières, lancé par Karine Pion (notamment connue comme choriste à Belle et Bum et membre de Galaxie), fait partie de ceux-là, avec une équipe impressionnante de femmes talentueuses qui ont mis en commun leur force pour mener à terme une vision commune. Cela s’est traduit par l’album Héritières, mais aussi un film et bientôt une tournée.
Mais qu’est-ce qu’il a de spécial, le projet Héritières? Il est (presque) entièrement féminin, avec de nombreuses voix incontournables de la scène musicale québécoise (en plus de Karine Pion, mentionnons des noms tels que Kim Richardson, Marie-Pierre Arthur, Karen Young, Coral Egan, Salomé Leclerc, Erika Angell (moitié féminine de Thus Owls) et Mamselle Ruiz pour ne nommer que celles-ci), mais est aussi interprété par des instrumentistes féminines et appuyé par une équipe technique presque exclusivement féminine. On parle en tout d’une trentaine de personnes impliquées dans le projet. Les thèmes abordés par l’album éponyme sont naturellement le legs des femmes, mais aussi les traumas hérités afin de mieux s’en affranchir. Le tout sur une musique tout sauf prévisible. Difficile de nier qu’une telle proposition a sa place, encore en 2024!
Avec autant de talent vocal, il n’est pas surprenant que l’album soit aussi riche au niveau des chœurs, ce qui s’entend un peu partout au fil de l’opus de 47 minutes. On commence tout de même assez doucement avec la berçante Phora 1, mettant de l’avant les voix de Karine Pion, Marianne-Beaupré-Laperrière et Julie Hamelin avec simplement une guitare en accompagnement. La suivante, L’anse, surprend avec son côté extrêmement mystérieux et essentiellement instrumental (les voix sont bien sûr très présentes, mais aucune parole n’est prononcée), menant à L’oiseau, long morceau commençant avec une lenteur ambiante qui cache un premier build-up : vers la barre des 2min15, on sent la tempête se préparer, avec des arrangements plus chargés et l’arrivée de percussions donnant un côté plus épique à la chanson de 8 minutes. Malgré sa longueur, la chanson est assez bien construite pour ne pas sentir de véritables longueurs, ce qui est bien souvent un exploit!
Majesté 1 contient 2 énergies bien distinctes. La première, très planante (avec la voix de Karine Pion à l’avant-scène) laisse place à la deuxième moitié, plus chargée et lourde. La voix apporte tout de même son lot de légèreté à l’ensemble, un bon coup. S’ensuit Dousè, avec Malika Tirolien et Meryem Saci, surprenant avec des sonorités plus éclatées, incluant le jazz, le slam et la musique du monde. C’est vraiment à partir de ce stade de l’album que l’on réalise dans quoi on s’embarque! La chanson enchaîne aussitôt avec Majesté 2, choral à souhait, mais pas sans une petite section rythmique lui donnant une petit finalité plus jazzy.
Les arrangements de Phora 2 brillent particulièrement, avec une belle synergie entre les voix (dont celle de Soleil Launière) et les instrumentistes offrant un groove inspiré. Second morceau plus long de l’album, Le sol douloureux (mettant en vedette Karen Young et Coral Egan) est un autre morceau chargé vocalement, mais surtout beaucoup plus tendu, ce qui se justifie par son sujet. On tombe même dans le chaos instrumental le temps de Champs, avant de passer à Solens öga (avec Erika Angell) qui parvient à amener avec elle une certaine sérénité à travers ses paroles en suédois. Juste après, c’est plutôt l’espagnol qui prend la place avec Mamselle Ruiz sur Viento nuevo, une chanson très inspirée et chargée en émotions, même quand on ne comprend rien aux paroles. Le dernier mot revient à Mémorial et à Kim Richardson pour une conclusion non loin du gospel, permettant de faire redescendre la tension après un album déjà très chargé.
Aucun doute, Héritières est un projet hyper ambitieux et on comprend que cela ait pris 4 ans avant que cet album prenne forme. Le résultat est réglé au quart de tour sans jamais être formaté et prévisible et si certaines pistes sont plus corsées, c’est vraiment parce que le collectif voulait aller dans cette direction pour transmettre un message fort. L’instigatrice elle-même reconnaît que le projet et sa musique sont un peu champ gauche, ce qui rend le tout un petit peu moins accessible au grand public, mais une fois qu’on se laisse embarquer dans cette expérience, on peut apprécier plusieurs de ses subtilités – et on devine que certaines de ces subtilités prendront encore plus leur sens en spectacle, puisqu’une tournée se prépare en 2025 pour défendre cette musique. On ne sait pas si et quand il y aura une suite à cet album, mais le concept mériterait assurément d’être répété dans le futur, voire bonifié.
Il est possible de trouver cet album sur Bandcamp.
À écouter : Majesté 1, Phora 2, Viento nuevo
7,9/10
Par Olivier Dénommée
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