
Sorti le 26 mai 2023
Cela fait quelques années qu’on la suit, mais la pianiste classique Élisabeth Pion n’a lancé son premier album que plus tôt en 2023. Curieuse et toujours prête à sortir des sentiers battus dans son répertoire, elle a opté pour certaines pièces qui n’ont pas encore été largement enregistrées dans son album Femmes de légende, qui tient son nom d’une série de pièces de Mel Bonis.
Malgré le titre, l’album n’est pas uniquement dédié à de la musique féminine. Il est cependant majoritairement composé de répertoire français, que la pianiste affectionne particulièrement, même si elle est installée depuis quelques années à Londres. D’ailleurs, elle n’échappe pas à certains grands noms de la musique française, dont Debussy.
Ce sont les 7 pièces du cycle Femmes de légende de Mel Bonis qui ouvrent l’album. Chacune des pistes est nommée d’après une femme au destin légendaire. La première, Femmes de légende: Mélisande, nous plonge rapidement dans un monde rêveur, même si les notes défilent à une vitesse étourdissante. Élisabeth Pion parvient à mêler sans trop de mal prouesses techniques et beauté dans son interprétation. Parmi les plus efficaces du cycle, mentionnons Femmes de légende: Viviane, très rafraîchissante par son énergie légère, et Femmes de légende: Phoebé, aux différentes intensités bien nuancées.
Vient ensuite une série de pièces d’Henri Dutilleux, Au gré des ondes, divisé en 6 pièces assez brèves (la plus longue est de 3 minutes). Ce cycle nous transporte dans des énergies extrêmement variées et nos préférées sont probablement Au gré des ondes: II. Claquettes, dans le registre rapide et sautillant, et Au gré des ondes: V. Hommage à Bach, un clin d’œil très réussi à un des compositeurs les plus influents de tous les temps.
S’ensuit «l’intrus» de l’album, The Exterminating Angel: Berceuse de Thomas Adès, Britannique d’origine syrienne. La pièce est tirée d’un opéra, et la version chargée et tendue pour piano nous donne envie de voir le résultat par un orchestre. Mentionnons le passage le plus mémorable de la piste, qui arrive à 3min43 : après un bout extrêmement doux, le piano nous explose dans les oreilles avec une lourdeur à laquelle on n’est jamais prêt, même si on l’a écouté des dizaines de fois et qu’on sait que ça s’en vient! Ce n’est pas nécessairement le genre d’effet que l’on apprécie le plus, mais ça a le mérite d’être extrêmement efficace!
On retourne ensuite au répertoire français avec du Lili Boulanger. Élisabeth Pion propose en premier le Prélude en ré bémol majeur, puis Trois morceaux (on a un petit faible pour Trois morceaux: II. D’un jardin clair) et, enfin, Thème et variations en do mineur. Cette dernière est d’ailleurs la plus longue de l’album, et de loin, avec ses 9 minutes de musique! Malgré le grand talent de la pianiste, ça peut être un peu aride de proposer une pièce de cette longueur au milieu d’un album de pistes assez courtes!
Elle nous livre ensuite sa version de L’Isle joyeuse, L. 106 de Debussy. Ce n’est pas la version la plus rapide que l’on a entendue, mais elle demeure tout de même assez technique et étourdissante à suivre lorsqu’on n’est pas pleinement concentré. Après un tel morceau, on accueille avec plaisir Balcony on a Wednesday Night, la seule composition originale d’Élisabeth Pion de cet album. Après nous avoir démontré son talent pour l’interprétation avec des morceaux parfois assez rapides et chargés, elle nous montre son côté plus introspectif. La pièce est aussi à la limite du jazz, donnant un petit aperçu de l’étendue de son registre. La pièce est toutefois très courte (seulement 1min35) et on en aurait aisément pris davantage!
La dernière piste de l’album Femmes de légende est déjà familière : il s’agit d’une nouvelle version d’Au gré des ondes: I. Prélude en berceuse de Dutilleux, qu’on a entendue plus tôt, intitulée cette fois Au gré des ondes: I. Prélude en berceuse – reprise ornementée. On ne peut pas dire que la pièce nous avait assez marqué pour sentir le besoin d’entendre cette nouvelle version, mais cela démontre aussi la capacité de la pianiste d’aller plus loin que la partition et d’y ajouter sa touche, aussi subtile soit-elle. Peut-être que cela ne plaira pas à certains puristes, mais pour notre part, on ne déteste pas l’idée!
Il ne fait aucune doute que malgré son relatif jeune âge, la pianiste est extrêmement talentueuse et pleine de ressources, elle qui reçoit régulièrement des distinctions à l’international. Femmes de légende n’est qu’un premier album d’un contrat de 3 et on sait déjà qu’elle va aller dans une autre direction pour le prochain. Elle ne semble jamais vouloir tomber dans la facilité et c’est bien tant mieux puisqu’elle nous permet au passage de découvrir de bien belles choses.
À écouter : Femmes de légende: Viviane, Au gré des ondes: V. Hommage à Bach, Balcony on a Wednesday Night
Par Olivier Dénommée
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