Romance Paradis – Yves Lambert

Sorti le 26 janvier 2024

Bien souvent, quand on pense à la musique trad au Québec, le premier nom de musicien qui nous vient spontanément en tête est Yves Lambert, que l’on continue d’ailleurs d’associer à La Bottine Souriante même 2 décennies après l’avoir quittée. Le dernier album que l’on avait écouté de lui était Lambert dans ses bottines, paru en 2015, où il mélangeait le trad et l’électro; cette fois avec Romance Paradis, Lambert nous invite à découvrir plusieurs chansons centenaires qui n’entrent pas nécessairement dans le registre trad.

On avait eu droit à un petit avant-goût de cette nouvelle musique pendant une performance d’Yves Lambert un mois avant la sortie de Romance Paradis. Il était rafraîchissant d’entendre de sa part une musique un peu plus près de la chanson française avec des compositions remontant dans plusieurs cas aux années 1920 jusqu’au début des années 1930, époque où on ne parlait pas de Québécois mais plutôt de Canadiens-Français.

Votre avion va-t-il au paradis, qui ouvre l’album, est aisément une des chansons-phares de l’opus. On y raconte une histoire pourtant triste (un jeune enfant qui vient de perdre sa mère et, en tentant de demander à un pilote d’avion s’il va au paradis, se retrouve gravement blessé), mais racontée avec une étrange légèreté. Les mélodies et les arrangements ont un petit côté français, mais la chanson a bel et bien été composée par Roméo Beaudry, un précurseur associé à une certaine Marie Bolduc. La jolie valse Savoir qu’on nous aime reprend aussi plusieurs codes de la chanson française : on aurait aisément pu s’imaginer un Brassens la chanter, par exemple, mais Lambert nous livre une version berçante malgré sa grosse voix.

L’album renferme aussi quelques pièces instrumentales, dont la première est Polka chinoise, qu’on dit composée par Alfred Montmarquette en 1929. Cet air nous paraît instantanément familier, probablement parce que plusieurs lignes nous rappellent les paroles «Je l’aurai dans la mémoire longtemps» de la chanson La fille engagère, notamment enregistrée par… La Bottine Souriante. Dans le livret, aucune mention n’est toutefois faite pour confirmer ou non si Polka chinoise a servi d’inspiration à l’autre chanson qui a certainement eu beaucoup plus de rayonnement depuis.

L’album n’est pas particulièrement triste jusqu’à ce stade-ci, mais Le chant de la pluie vient changer la donne, avec un morceau extrêmement mélancolique, mais aussi très beau. Légende de St-Nicholas, quant à elle, y va d’un sujet en apparence très tragique (mine de rien, ça commence par des enfants qui se font littéralement charcuter par un boucher), abordé à la sauce trad.

Quelle drôle de chanson que Chanson bête, adaptée d’un enregistrement de 1920. La chanson au complet parle de deux personnes qui ne se sont tout simplement jamais rencontrées et donc ont vécu leur vie chacun de leur côté et sont morts de la même façon. Étaient-elles âmes sœurs? On ne le saura jamais, elles n’ont jamais fait connaissance après tout! Quoi qu’il en soit, l’enrobage festif ajoute à l’ironie de la piste. Le bref album se termine ensuite sur Valse ukrainienne, morceau instrumental dont les origines exactes sont floues, mais dont la beauté transcende clairement les époques, bien qu’on devine que le choix de cette pièce n’est pas anodine dans le contexte géopolitique actuel.

À travers ses pistes, Romance Paradis ne dure que 27 minutes. C’est du Yves Lambert très condensé qu’on nous propose ici, lui qui mêle avec plaisir les styles et les énergies, s’éloignant à plusieurs moments du trad «pur». Dans sa vaste carrière, il a endisqué des chansons intemporelles et on se demande si celles-ci en feront partie, mais il s’est prêté a un exercice différent et hautement pertinent, alors on espère que certaines chansons resteront un moment dans son répertoire en spectacle.

À écouter : Savoir qu’on nous aime, Le chant de la pluie, Valse ukrainienne

7,9/10

Par Olivier Dénommée


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