
Sorti le 21 juin 2024
La pianiste québécoise Élisabeth Pion poursuit son ascension et, un an à peine son premier album Femmes de légende, elle lance un 2e album, délaissant le piano solo pour jouer avec Arion Orchestre Baroque. Amadeus et l’Impératrice se concentre sur seulement 2 compositeurs : Mozart, qui se passe de présentation, et Hélène de Montgeroult (1764-1836), compositrice française encore trop méconnue, chose qu’Élisabeth Pion et Mathieu Lussier, directeur artistique d’Arion, tentent ici de corriger en mettant sa musique côte à côte avec celle d’un des compositeurs les plus prolifiques et talentueux de tous les temps.
Notons que les 2 compositeurs ont vécu dans les mêmes années, mais leur parcours est très différent, ne serait-ce que parce que Montgeroult était une femme à une époque où on ne leur donnait pas facilement les moyens d’aller à leur plein potentiel. Les musiciens vont jusqu’à mettre un concerto écrit «presque simultanément» par chacun des compositeurs, alors qu’il s’agit du premier pour Montgeroult et… du 24e pour Mozart alors que seulement 8 ans de vie les séparent! Cela a aussi amené Mathieu Lussier à faire un important travail d’arrangeur, lui qui a «augmenté» certaines de ses partitions pour piano afin de pouvoir les interpréter avec l’orchestre, et a même fait un collage de différentes compositions pour en faire l’Ouverture «l’Impératrice» en 3 mouvements. Si on n’avait pas eu cette information, on n’y aurait franchement vu que du feu.
Et maintenant, l’écoute de cet album très chargé (1h23 en version numérique) : on commence immédiatement avec Concerto pour pianoforte no 1 en mi bémol majeur (d’après Giovanni Battista Viotti) de Montgeroult et le premier constat à faire est que ça pourrait aisément passer pour du Mozart si on nous demandait de deviner. On reconnaît certains motifs récurrents à l’époque classique et c’est assez facile de s’y immerger. Le premier mouvement, I. Allegro, est le plus long, mais il nous semble que c’est aussi le plus représentatif de cette forme musicale très particulière qu’est le concerto. La cadence improvisée par la pianiste semble tellement naturelle qu’elle aurait pu être écrite dans la composition par Montgeroult elle-même. Règle générale, on a un faible pour le 2e mouvement d’un concerto, plus doux et mélodieux, mais même si II. Adagio non troppo correspond bien à cette tradition, on garde plus facilement en tête les autres mouvements, autant le 1er que le le 3e et dernier, le très sautillant III. Rondo : Allegretto. Ce dernier, très efficace, a d’ailleurs été dévoilé en extrait quelques semaines avant la sortie de l’album, un bon choix pour donner un avant-goût intéressant de cet album.
On reste avec Hélène de Montgeroult pour la 2e œuvre, Ouverture «l’Impératrice», aussi en 3 mouvements. I. Adagio non troppo – Allegro – Adagio non troppo – Allegro joue avec différentes intensités, créant par moments une ambiance beaucoup plus tendue, mais lui donnant aussi un côté épique. On se laisse ensuite bercer par le très joli mouvement II. Andante, qui permet de frapper encore plus fort avec le puissant III. Allegro agitato. C’est franchement réussi et on serait curieux de voir le matériel avec lequel l’arrangeur a travaillé pour en arriver à un tel résultat!
C’est maintenant au tour de Mozart et son Concerto pour pianoforte no 24 en do mineur, K. 491, commençant en force I. Allegro, mélangeant des passages extrêmement chargés et intenses et d’autres plus doux et chantants. Le seul «défaut» qu’on pourrait trouver à la piste est sa longueur de plus de 13 minutes, ce qui est un peu long si ce n’est pas exactement ce que l’on cherche à écouter, mais on parle de Mozart ici et on doute qu’il a composé ses concertos en tenant en compte les habitudes d’écoute des gens sur Spotify! Parlons très rapidement de la piste bonus, Concerto pour pianoforte no 24 en do mineur, K. 491 : I. Allegro (Cadence alternative), essentiellement la même piste, mais avec un clin d’œil à Beethoven et sa fameuse 5e Symphonie. On ne peut pas dire qu’Élisabeth Pion ne manque pas d’humour! Les 2 autres mouvements du concerto sont un peu plus courts, avec respectivement 7 et 9 minutes, mais il n’y a pas grand-chose à ajouter mis à part que l’interprétation de la pianiste et d’Arion a été faite avec grand soin, comme dans le reste de l’album d’ailleurs.
La fin de l’album est de nouveau consacré à Montgeroult, cette fois des études de son Cours complet pour l’Enseignement du Forté Piano, un petit bonbon après de la musique très chargée! On a un faible pour l’efficace Étude no 19 en fa majeur, la chantante Étude no 26 en sol majeur et l’intense Étude No 111 en sol mineur. Mais on nous réserve une dernière surprise : Étude no 26 en sol majeur a eu droit à un arrangement pour orchestre à cordes, prenant le nouveau titre de Romance sans paroles, lui donnant un petit côté planant très agréable, quoique trop court!
Amadeus et l’Impératrice n’est pas le genre d’album que l’on écoute fréquemment ici, mais il renferme une grande beauté qui nous fait une fois de plus réaliser à quel point de grandes choses ont été écrites il y a des centaines d’années, mais demeurent pertinentes aujourd’hui. Et on peut dire que c’est mission accomplie de mettre Hélène de Montgeroult sur le même pied que Mozart et donnant autant d’amour à ses pièces ou ou pas enregistrées auparavant. On n’arrivera certainement jamais à bien mettre en lumière le talent de chaque bon compositeur oublié ou négligé, mais il faut bien commencer quelque part, n’est-ce pas? Merci à Élisabeth Pion, Mathieu Lussier et Arion Orchestre Baroque pour faire leur part en ce sens.
À écouter : Concerto pour pianoforte no 1 en mi bémol majeur (d’après Giovanni Battista Viotti) : III. Rondo : Allegretto, Ouverture «l’Impératrice» : III. Allegro agitato, Cours complet pour l’Enseignement du Forté Piano : Romance sans paroles
Par Olivier Dénommée
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