
Sorti le 1er mars 2024
Flore Laurentienne est le projet de musique «classique progressif instrumental» derrière lequel se cache le musicien Mathieu David Gagnon. Sur son album 8 tableaux, il ne se contente pas de créer des ambiances riches et inspirées, il le fait en s’inspirant de différentes œuvres du peintre Jean Paul Riopelle.
Tout d’abord, laissons le musicien lui-même expliquer la démarche menant à la naissance de l’album : «La musique est un art qui s’inscrit dans le temps, alors que la peinture est un arrêt sur image à un moment précis dans le flot créatif du peintre. Avec 8 tableaux, j’ai cherché à donner une forme musicale à une toile. Mais comment y arriver, comment arrêter le temps en musique? En basant la structure des pièces sur des cycles qui reviennent sans cesse, on peut faire croire à l’oreille que la musique était là avant et qu’elle le sera également après. Sans début et sans fin, il ne reste que l’arrêt sur l’image, musical… En suivant cette démarche, j’ai rapidement constaté que la musique et la peinture font toutes les deux appels à la contemplation.» En très bref, on a droit à un album lent et contemplatif, où le concept du temps, pourtant intimement lié à la musique, prend essentiellement le bord!
Malgré son titre, la première piste Point d’ancrage nous fait presque sentir perdu dans l’immensité de l’espace. La pièce est particulière dans la mesure où tout est d’une extrême lenteur, y compris le build-up instrumental, mais qu’on ne sent jamais de longueurs non plus; chaque note arrive pile au moment où elle doit arriver. La nuit bleue laisse place à davantage éléments électroniques, mais on garde essentiellement le même esprit, sans aller aussi loin dans l’évolution des arrangements. C’est encore plus vrai dans la très minimaliste Cap-Tourmente.
En fait, si on baisse trop la garde, on se fera aisément surprendre à la fin de Cap-Tourmente parce qu’Au couchant est infiniment plus énergique, tout en gardant son esprit planant. Feuilles IV nous surprend aussi, pour une autre raison : l’intro de la pièce est indigeste, mais si on patiente jusqu’à 1min15, ça commence enfin réellement! Elle nous fait aussi énormément penser à ce qu’on entendre sur l’album DSVII de M83, aussi un album instrumental aux influences électroniques. Et comme on est nostalgique à chaque fois qu’on repense à cet album, c’est un compliment de notre part! On trouve seulement dommage que l’enrobage de la composition soit volontairement si désagréable (car même après le début, les sons ne cessent jamais vraiment et reprennent de la force à l’approche de la fin, malheureusement).
On revient à quelque chose de plus dépouillé avec L’Île-aux-Oies, suivie d’une Autriche III qui dépasse la barre des 7 minutes et qui s’amuse avec différentes ambiances – certaines réussies, d’autres moins. L’album tire à sa fin avec Bleu-vert (Vert de bleu), une pièce brève qui boucle assez bien la boucle que l’expérience que l’on vient de passer.
8 tableaux remplit somme toute assez bien sa promesse, en nous offrant un instant de contemplation, et le côté expérimental de Flore Laurentienne nous assure de ne pas nous endormir en le faisant. On aurait préféré un petit peu plus de cohésion – les morceaux «trop» énergiques nous ont moins personnellement convaincu – , mais on se lasse difficilement d’un bon album de musique instrumentale. Et on va suivre de façon plus assidue le travail de Mathieu David Gagnon à l’avenir.
Version deluxe
Il y a un défaut principal de donner un nom d’album tel que 8 tableaux : le titre a du sens tant qu’il contient 8 pistes. Mais une version deluxe de l’album, parue en septembre 2024, en ajoute 4.
Il n’est pas clair si les 4 pistes supplémentaires ont été enregistrées en même temps que les autres ou si elles ont suivi un peu plus tard, mais elles se défendent dans tous les cas très bien. La première est La nuit bleue (Bourgie), qui, malgré son titre quasi identique à La nuit bleue, va complètement ailleurs, avec une musique beaucoup plus longue (elle aussi dépasse les 7 minutes) et chargée en émotions. Anticosti I remplit plutôt bien son mandat sans créer trop de surprises, et Vent traversier crée une certaine tension, mais la 4e et dernière piste de cette version deluxe est la très jolie Les oies III, trop bref morceau centrée sur un piano empreint d’un beauté simple. On en aurait pris davantage!
Il est possible de trouver cet album sur Bandcamp.
À écouter : Point d’ancrage, La nuit bleue, Au couchant // Version deluxe : La nuit bleue (Bourgie)
7,7/10 (régulier) // 7,9 (deluxe)
Par Olivier Dénommée
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