
Sorti le 24 avril 2025
C’est plutôt rare qu’on aille à ce point dans l’hyperbole, mais il y a certainement un «avant» et un «après» la sortie du jeu Clair Obscur: Expedition 33, du jeune studio indépendant Sandfall Interactive. Cela explique sans grand mystère pourquoi il a à peu près tout raflé aux derniers Game Awards, dont le prestigieux titre de Jeu de l’année. Mais on ne crée pas un jeu aussi puissant sans une musique au moins du même calibre, ce qui nous amène à nous penser sur cette bande sonore massive de plusieurs heures, signée par le Français Lorien Lestard.
Déjà, réglons la question de l’éléphant dans la pièce : Expedition 33 est un JRPG, un jeu de rôles à la japonaise, mais est entièrement créé à partir d’une équipe de Français. Cela donne un métissage assez unique, notamment au niveau des compositions, qui reprennent avec succès les codes des jeux japonais, tout en ayant une signature typiquement européenne, notamment dans le choix de certains instruments. Mais c’est assez exceptionnel de penser qu’un Français a pu écrire la meilleure musique japonaise de la dernière année! Lorien Testard n’a toutefois pas totalement travaillé seul, et a fait appel aux talents de la chanteuse Alice Duport-Percier pour les morceaux vocaux, relativement nombreux. Celle-ci chante d’ailleurs essentiellement en français, un autre choix assez rare dans l’univers du jeu vidéo.
Malgré la longueur de cette bande sonore, cumulant 154 pistes, elle ne serait techniquement divisée qu’en 3 «disques», reprenant essentiellement l’esprit des 3 actes du jeu. Comme il serait interminable de parler de chacune des pièces, on va tenter de résumer quelque peu lorsque ce sera possible, tout en donnant nos impressions sur l’énergie générale dégagée par cette bande sonore.
Disque 1
Le premier disque est selon nous le plus important, parce qu’il donne le ton à l’entièreté de l’expérience. On est justement accueilli par Alicia, première chanson mettant de l’avant Alice Duport-Percier, à la voix intense et dramatique à souhait. Il s’agit véritablement de LA voix du jeu, et on peut difficilement demander un meilleur match. On apprécie d’ailleurs de l’entendre un peu partout au fil de cet opus.
Et comme tout bon JRPG, certains thèmes sont repris à différentes sauces. C’est notamment le cas le du thème de Lumière, la ville inspirée de Paris, que l’on reconnaît dans différentes pistes, à commencer par le thème Gustave, et évidemment, Lumière (qui est vite devenu le thème principal de ce jeu!) et ses variantes Lumière – Lumière à l’Aube et Lumière – Promenade dans Lumière. Les ambiances de la première heure du jeu sont tout simplement sublimes et et se savourent à peu près autant dans le jeu qu’en dehors, signe de la force des compositions. La fin du prologue, Lumière – The Departure, offre quant à elle un mélange entre une musique mélancolique et des sonorités plus épiques d’un départ à l’aventure.
On a ensuite droit à une suite de pièces plutôt sombres et tendues (Spring Meadows – Cloud of Anxiety, Spring Meadows – Cello Motifs, Spring Meadows – Éveil…) pour arriver à la première vraie toune de combat, un incontournable dans tout bon jeu. Si Spring Meadows – Get Up! For Lumière! n’est même pas le plus épique des thèmes de combat, il se défend franchement bien. Mention aussi à l’enveloppante Spring Meadows – Linen and Cotton, et à une autre pièce de combat, Spring Meadows – Battling Breeze, se démarquant bien par rapport à la zone Spring Meadows.
S’ensuit un autre thème de personnage, Lune, une musique berçante et assez inspirée. World Map – Taking Down the Paintress est une version bonifiée de paroles d’une musique de combat franchement épique, qui nous rappelle des musiques d’autres jeux. Quant à World Map – In Lumière’s Name, on a droit à un morceau agressivement français dans ses arrangements, avec de l’accordéon dans les instruments centraux, un fait plutôt rare merci! Un peu plus loin, dans la section Flying Waters, la plus mémorable est probablement l’épique Flying Waters – Rain from the Ground, de par ses sonorités électroniques irrésistibles. Sur le coup, on sent que cette pièce est une intruse, mais en fin de compte elle fonctionne parfaitement dans l’énergie du moment.
On sent à nouveau certaines inspirations d’autres jeux dans Ancient Sanctuary – Lake, alors qu’Ancient Sanctuary – Gestral Summer Party est une des tentatives les plus réussies pour une toune estivale et festive, nous rappelant au passage que cette bande sonore ne manque pas de moments plus légers, ce qui inclut aussi la fin de Ancient Sanctuary – Entrance of the Village et Gestral Village – Gestral Market. Gestral Village – Alicia (Gestrals) nous apprend aussi que Testard est aussi à l’aise dans un jazz sympathique! Gestral Village – Gestral Arena pourrait être tout droit tiré d’une bande sonore d’un vieux Final Fantasy, alors qu’on jurerait que la très rock Gestral Village – Golgra est une interprétation du défunt groupe The Black Mages!
Après le thème de Sciel (et la variante Firecamp – Sciel), on a droit à une version sentie de Firecamp – Lune et, juste après, la dernière zone de l’acte 1. De celle-ci, on retient quelques thèmes de combat (Stone Wave Cliffs – The Last Thing You’ll See et Stone Wave Cliffs – Lampmaster), mais surtout l’émotive chanson Loin d’Elle, nous ramenant en fait à l’émotion du tout début de la bande sonore. Le disque se conclut sur Une vie à t’aimer, qui inclut non seulement la voix d’Alice Duport-Percier, mais aussi celle de Victor Borba. Si on aime inconditionnellement la voix de la chanteuse, on sent que l’interprétation de la voix masculine est un peu criarde, même si cela se prête bien à l’intensité de la pièce. Notons quand même au passage que cette chanson nous fait vaguement penser à un mélange de My Favorite Things (The Sound of Music) et de La foule, une des chansons incontournables d’Édith Piaf. Et comme il s’agit d’un compositeur français, on ne peut totalement exclure des petites inspirations, même mineures!
Disque 2
Le premier disque était déjà costaud, mais celui qui contient le plus de pistes est pourtant le 2e! Il commence par un nouveau thème de personnage, Verso, qu’on associerait presque à de la musique tirée de Final Fantasy IX. Après quelques musiques lugubres, Forgotten Battlefield – Divided Swords est ce qu’on qualifierait de première piste épique, avec quand même un segment plus nuancé au piano! Lost Voice, qui nous ramène pourtant à une scène mémorable du prologue, est toujours à donner des frissons.
Dans la section Monoco’s Station, notre préférée est possiblement Monoco’s Station – Grandis Refuge, un morceau plutôt relaxant. Le thème de Monoco suit peu après, avec la particularité d’être le seul thème d’un personnage jouable à être jazzy! Cela nous mène à d’autres pièces assez sympathiques, incluant Gestral Beach – I’d Rather Play Pétanque! (on ne s’attendait pas à moins avec un tel titre!), Gestral Beach – My Grandma Hits Harder!, ou encore Gestral Beach – Is it a Gestral or a Volleyball?. On revient toutefois aux choses sérieuses avec Yellow Forest – Numbers the Hours. Mention également à Yellow Forest – Nightfall, joli morceau solo au piano, menant à une Falling Leaves – Noco’s Root plus mystérieuse, une ambiance qui se poursuivra le temps de plusieurs pistes! On a aussi droit à un moment d’intensité plutôt réussie avec Falling Leaves – Autumn’s Brush, et quelque chose de plus aérien le temps de Sacred River – River Dream.
Dans tout bon JRPG, la musique de la carte du monde occupe une place importante, et World Map – Déchire la Toile fait aisément partie des incontournables. C’est peut-être ici un bon moment de noter que les chansons avec des paroles sont principalement chantées en français et que si on écoute bien, on reconnaît facilement les noms de personnages importants de l’histoire… dont certains qu’on n’a jamais rencontrés. Cela peut constituer une forme de divulgâcheur lorsqu’on sait comment le tout se termine, mais heureusement, la grande majorité des joueurs ne parlent probablement pas français, alors on espère pour eux que ce ne sont que des sons exotiques à leurs oreilles! World Map – Gustave’s Legacy propose quant à elle un moment entre tristesse et détermination.
On se laisse surprendre par Lumière s’éteint, avec une forme de narration en slam, qu’on devine faite par Lorien Testard lui-même. S’ensuivent quelques morceaux associés à Old Lumière, se démarquant un peu moins du lot, jusqu’à ce qu’on arrive à Eiffel, pièce nous ramenant au fameux thème de Lumière, mais avec des arrangements baroques plutôt réussis. L’Amour d’un Père est une autre chanson sentie mettant bien de l’avant Alice Duport-Percier, alors que Tout ce que je suis, pour toi, nous transporte efficacement dans un morceau instrumental assez léger.
Prochain segment : Sirène, avec une série de compositions lui étant liées. La plus inspirée est probablement Sirène – Robe de Jour, mais on doit accorder des points pour l’efficacité des arrangements de Sirène – Tisser la Beauté, surpassant presque Sirène – Rouge d’Iris, chanson par ailleurs très solide. Quant à la partie Visages de la bande sonore, on a droit à des variations assez éthérées d’un même thème relativement court (des pistes de 2 minutes). Celles-ci sont un tantinet moins marquantes, mais la moyenne au bâton demeure excellente, évidemment, et on doit dire que l’on trouve somme toute efficaces les 2 dernières du lot, Visages – Idéal Mental et Visages – Portrait Imparfait.
On change de registre avec le segment Atelier de Clea, avec des airs mystérieux et délicats. De ceux-ci, on retient principalement Atelier de Clea – Contre le Cœur, la seule plus intense et avec du chant. Clea et ses mélodies fantomatiques sur une musique massive fait aussi son effet. On se laisse bercer par The Reacher – Naissance des cendres, puis porter par la progression de The Reacher – Mémoires et (dans une moindre mesure) The Reacher – Vers le Sommet. Quand on entend Près de Lui, on ne peut s’empêcher de comparer cette pièce solo au piano à To Zanarkand de Final Fantasy X, portant la même charge émotionnelle avec minimalisme. Aline, juste après, porte une charge émotive encore plus forte, avec un message on ne peut plus clair (quand on comprend le français, évidemment) : «Fuis ce tableau maudit, cette toile d’une fausse vie», nous chante Alice Duport-Percier. C’est suivie de la toujours épique Paintress, dont la fin revient toutefois au propos d’Aline. Le disque se termine sur L’Amour d’une Mère, comme une berceuse concluant cette portion très chargée.
Disque 3
Le 3e et dernier disque est le plus court, mais on parle quand même de 26 pistes supplémentaires! Il débute avec le morceau simple mais émotif Lettre à Maelle, puis We Lost nous ramène les mélodies d’Une vie à t’aimer, chantées encore en duo avec Victor Borba. On n’a rien à ajouter de nouveau : la voix masculine ne nous convainc toujours pas complètement. On préfère de loin la délicatesse de Dolorosa. S’ensuit une série de version «Music Box» de thèmes entendus dans le jeu, que l’on passe rapidement; pas que ces pistes ne sont pas intéressantes, mais vu le nombre de morceaux, on se doit évidemment de faire des choix! La portion Lumière’s Opera propose aussi sa relecture d’autres airs importants de la bande sonore, sans se démarquer outre mesure.
On se démarque heureusement à nouveau avec World Map – Our Painted Hatred, pièce épique dont le compositeur a visiblement le secret, et World Map – Children of Lumière, morceau assez poignant. Le qualificatif s’appliquerait aussi bien à Renoir. Victor Borba fait un dernier retour dans Une vie à peindre, et demeure fidèle à ce qu’on a entendu précédemment… On se demande si un autre chanteur aurait pu faire un meilleur travail, plus près de l’énergie de la chanteuse, ou si c’était le ton qui exigeait cette performance over-the-top chaque fois? Our Drafts Collides offre un mélange intéressant entre les mélodies toujours hantantes d’Alice Duport-Percier et du spoken word de Lorien Testard, qu’on entend brièvement. Until Next Life invite toutefois une autre voix : celle de Ben Starr (qui interprète Verso), pour un duo poignant.
On reconnaît aussitôt le thème de Clair-Obscur, mais on se laisse surprendre par Une vie à rêver, qui invite Axelle Verner à ajouter sa voix à celle d’Alice Duport-Percier, ce qui donne une belle dualité vocale. Le seul défaut qu’on peut trouver à la piste est sa longueur de 11 minutes, la rendant plus difficilement digeste en dehors du contexte du jeu. La fin de la bande sonore revient à Aux lendemains non Écrits, magnifique morceau principalement guitare-voix, et Maelle, une version aux paroles modifiées de la toute première piste, bouclant ainsi la boucle.
Conclusion
Ouf, c’était toute une bande sonore! Malgré tous nos efforts, cela donne évidemment un texte très long, mais on voyait mal comment mieux résumer notre expérience d’écoute de, rappelons-le, plusieurs longues heures. Clair Obscur: Expedition 33 (Original Soundtrack) est tout simplement massif et on ne comprend toujours pas comment c’est possible que Lorien Lestard n’était pas un compositeur de jeux aguerri avant de s’attaquer à ce contrat! Le jeu, à tous les niveaux, ressemble à un heureux accident où tout s’est pourtant imbriqué à la perfection, et ça rend l’écoute de la bande sonore d’autant plus magique.
Si on avait à nommer notre bande sonore de jeu vidéo préférée à vie, on aurait encore tendance à pencher pour celle de Chrono Cross par Yasunori Mitsuda, mais on parle d’une musique datant de la fin des années 90. Plus de 25 ans plus tard, on peut dire sans exagérer que la bande sonore d’Expedition 33 est à peu près au même niveau, et ce, même sans l’avantage de la nostalgie! On n’est pas entièrement certain qu’on aurait le même amour pour la musique sans y avoir joué au moins une fois, puisque les images sont aussi très fortes, mais cette bande sonore est magique même lorsqu’elle est écoutée hors contexte, un autre excellent point qui ne s’applique pas à assez de soundtracks modernes selon nous! Pour nous, il n’y aucun doute : la bande sonore de Clair Obscur: Expedition 33 mérite amplement chaque prix qu’elle aura remporté, et on ne peut que souhaiter que Lorien Testard aura sur le long terme la reconnaissance à laquelle il a droit!
Cette imposante bande sonore peut notamment se trouver sur Bandcamp.
À écouter : Disque 1 : Alicia, Lumière, World Map – In Lumière’s Name // Disque 2 : Lost Voice, World Map – Déchire la Toile, Aline // Disque 3 : Our Drafts Collides, Until Next Life, Aux lendemains non Écrits
9,1/10 (dans le jeu) // 8,2/10 (hors contexte)
Par Olivier Dénommée
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