CHRONIQUE : De toutes les couleurs à Chants de Vielles

Photo : Olivier Dénommée

Par Olivier Dénommée

J’ai eu l’occasion de passer un peu de temps, du 28 au 30 juin, à la 20e édition du festival Chants de Vielles de Saint-Antoine-sur-Richelieu, célébrant tout ce qui se fait de beau dans le milieu des musiques traditionnelles d’ici comme d’ailleurs. Résumé de cette fin de semaine animée.

Les plus fanatiques ont pu profiter du pré-festival le jeudi, mais, pour le commun des mortels, c’est véritablement le vendredi que Chants de Vielles commençait. Je suis arrivé juste à temps pour le Grand concert de la soirée, où se sont succédé 3 artistes et groupes sur la scène principale, la scène Jean-Paul Guimond. Petite parenthèse, mentionnons d’entrée de jeu son absence remarquée : Jean-Paul Guimond, 91 ans, est une légende vivante du folklore québécois, et je ne crois pas participé à une édition de Chants de Vielles sans qu’il soit présent. Ses ennuis de santé lui ont toutefois empêché d’y être en 2024, mais plusieurs en ont profité pour rappeler leur fierté de jouer sur une scène portant son nom et ont souligné chaque fois qu’ils en avaient l’occasion qu’ils s’apprêtaient à interpréter une de ses nombreuses chansons.

Le Chevreuil Benoît Fortier, jouant la flûte à bec avec Les Grands Hurleurs / Photo : Olivier Dénommée

Il a aussi été possible de voir à l’œuvre le «Chevreuil» de l’édition, le multi-instrumentiste Benoît Fortier, notamment membre du groupe Les Chauffeurs à pieds. Pour les non-initiés, le Chevreuil est un musicien à qui on a donné essentiellement carte blanche pour faire des incursions dans les différents spectacles de la programmation. Contrairement aux années précédentes, où on a fait appel à des vieux de la vieilles qui roulent leur bosse depuis des décennies, Benoît Fortier fait plutôt partie de cette nouvelle génération de musiciens qui n’ont pas peur de toucher à tout. Il est notamment associé à la flûte à bec, mais je ne crois pas l’avoir vu toucher 2 fois au même instrument pendant toute la fin de semaine, signe de son vaste registre musical. Et chaque fois qu’il se greffait à un groupe, sa présence semblait couler de source tellement il était dans son élément. Je ne peux pas dire que je connaissais Benoît Fortier avant, mais il est maintenant sur mon radar…

Vendredi 28 juin

Fin de la parenthèse, de retour au Grand concert du vendredi! C’est le projet Mélisande, dont on a parlé à quelques reprises ici, qui ouvrait le bal un peu après 19h30. Après avoir assisté à plusieurs représentations en format électrotrad, Mélisande passait pour l’occasion en mode acoustique, faisant la promotion de son dernier album Rembobine. Moins d’électro, mais pas moins d’énergie sur scène que ce à quoi on a pu être habitués par le passé! La chanteuse Mélisande Gélinas-Fauteux a toujours une grande présence sur scène et ce n’est jamais un mauvais choix de l’inviter pour aider à réchauffer le public qui n’est peut-être pas encore dans le mood du festival ou les gens qui ont leur semaine dans le corps.

Musicalement, rien à redire, on avait affaire à des routiers du trad avec une machine très bien huilée et si vous avez écouté l’album Rembobine, vous n’aurez que peu de surprises en écoutant le spectacle, bien que certains arrangements semblent avoir été bonifiés pour donner une coche de plus à la représentation. Mais c’est un peu ingrat pour Mélisande de jouer à ce moment-là : non seulement il ne faisait pas encore noir, enlevant un d’ambiance festive, le groupe précédait la performance du légendaire Yves Lambert.

Mélisande Gélinas-Fauteux et Alexandre de Grosbois-Garand de Mélisande / Photo : Olivier Dénommée

Fait surprenant, Yves Lambert avait un nouvel album, Romance Paradis paru en début d’année, mais il a plutôt opté pour les classiques parmi les classiques, pigeant volontiers dans le répertoire de La Bottine Souriante (la toune finale de sa performance était d’ailleurs La ziguezon), le groupe auquel il demeure associé bien malgré lui même s’il l’a quitté il y a 22 ans, et se gâtant avec une formule octuor avec des instruments qu’on voit bien peu souvent sur une scène trad. C’était par ailleurs un show sur mesure pour Chants de Vielles, avec des arrangements qui ont largement sorti de l’ordinaire, donnant des relents de musique classique à l’occasion.

À 67 ans, Lambert n’a rien perdu de sa fougue et ne manque jamais une occasion d’être théâtral sur scène et de lancer des messages à notre société. Le lac rond a visé juste en nous rappelant de façon non moralisatrice qu’on est, pour l’immense majorité, des descendants d’immigrants qui étaient simplement en quête d’une vie meilleure en venant ici. Comme quoi on peut aimer la tradition, sans nécessairement être fermé à ce qui vient d’ailleurs.

Yves Lambert / Photo : Olivier Dénommée

La soirée s’est terminée avec l’explosive performance du collectif montréalais Papagroove. Chants de Vielles a été audacieux d’inclure le groupe à sa programmation, lui qui mise davantage sur les sonorités festives et dansante de même que sur des messages politisés assumés que sur la tradition à proprement parler. Le chanteur Sébastien Francisque a tout de même fait un clin d’œil à ce constat, précisant que c’est du trad du Nigeria que le groupe offrait, avec parmi ses principales inspiration Fela Kuti. Mais trad ou pas, le groupe était là pour faire le party et il n’a pas ménagé ses efforts pour faire embarquer le public avec lui. Public qui a semblé quelque peu timide – rappelons qu’on a entendu juste avant 2 ensembles offrant du trad québécois plus «conventionnel», alors le public cible était peut-être différent –, mais il a fini par embarquer à force de voir le chanteur débarquer de scène pour se rapprocher des gens.

Si la performance de Papagroove était essentiellement énergique du début à la fin, elle a laissé place à un bref moment de tristesse, avec la mention du décès d’un de ses membres originaux, le saxophoniste Jean-François Ouellet, parti trop tôt en juin dernier. Il n’était plus membre de Papagroove depuis 2 ans, mais le groupe a joué une de ses compositions en sa mémoire.

Sébastien Francisque, chanteur de Papagroove / Photo : Olivier Dénommée

Samedi 29 juin

Après un vendredi soir plus chargé, j’ai fait une visite éclair à Chants de Vielles le lendemain, pour ne pas manquer le spectacle du duo Prairie Comeau, formé du couple Benoît Archambault et Anique Granger. J’avais bien apprécié son dernier EP, L’emprunt(e) volume 1, et j’avais hâte de l’entendre en live, à l’église de Saint-Antoine. Et le groupe a livré de bien belle façon. Pas que les arrangements étaient plus éclatants que sur disque, mais il y avait une présence sur scène qui ne laissait personne indifférent. Leur complicité était évidemment palpable et ça a donné lieu à de magnifiques moments en musique. L’interprétation de Le couteau a pris tout son sens là-bas, et on aussi eu droit à des moments plus légers au fil de cette sympathique performance d’une heure.

C’est dans les imprévus que l’on voit si les artistes sont vraiment prêts à toute éventualité et pendant une chanson a capella, des problèmes de son se sont manifestés. À aucun moment ils n’ont paniqué, arrêtant simplement un moment pour le régler et reprenant où ils étaient rendus comme si de rien n’était. Sinon Prairie Comeau a réussi à transformer l’assistance en grande chorale le temps d’À la claire fontaine, et a lancé dans l’univers son souhait d’un jour interpréter La feuille d’érable, l’hymne de la LNI tirée de La Bonne Chanson, avant un match d’improvisation. Le groupe a également laissé entendre qu’une suite à son EP s’en venait prochainement, ce que j’ai bien hâte d’entendre!

Prairie Comeau / Photo : Olivier Dénommée

Vers la fin du spectacle, on a eu droit à une furtive présence de Nicolas Boulerice, à la fois réalisateur de la dernière sortie et président du festival, qui a joint sa voix à celle du duo. Et Prairie Comeau ne s’est pas trop fait prier pour un rappel, Take Me Out to the Ball Game. Benoît Archambault a souligné l’ironie d’interpréter une telle chanson à Chants de Vielles, mais personne ne s’est formalisé de cette incursion en anglais.

Dimanche 30 juin

Je n’ai pas eu la chance de rester plus longtemps le samedi, mais dimanche était l’occasion de me rattraper, à commencer par le spectacle d’un autre duo, Nicolas Boulerice et Frédéric Samson, à la Maison de la culture Eulalie-Durocher. C’est une salle très intime et un format de spectacle contrebasse-voix se prêtait parfaitement à cet endroit. Les musiciens présentaient essentiellement le fruit de leur travail sur leur dernier album Cooltrad, paru dans les derniers mois, en format entièrement dépouillé, délaissant la mise en scène plus sophistiquée faite pour la plupart des spectacles. Au contraire, comme Nicolas Boulerice jouait chez lui (il est résident de Saint-Antoine), il s’est lâché lousse avec l’humour et l’autodérision, donnant lieu à plusieurs moments très légers et sympathiques. Si cette musique peut parfois sembler aride, l’écouter en live lui donne un tout autre sens. On était serrés et il faisait diablement chaud dans cette salle, mais ça a valu le détour!

Nicolas Boulerice et Frédéric Samson / Photo : Olivier Dénommée

Après un souper rapide à L’Antoinette (restaurant incontournable là-bas), c’était l’heure du Grand concert sur la scène principale. Le premier spectacle de la soirée était Barka par le Gypsy Kumbia Orchestra, que j’avais particulièrement hâte de voir. Cela faisait des années que je n’avais pas eu la chance de revoir ce groupe mêlant la musique de la Colombie et des Balkans avec de la danse et des éléments de cirque et c’était la première fois que je pouvais le voir sur une scène extérieure. Comme prévu, le spectacle n’a pas connu beaucoup de temps morts et on aurait pu voir le spectacle 3 fois et se concentrer sur quelque chose de différent chaque fois sans jamais revoir la même chose.

Même s’il était visiblement rodé au quart de tour (ce qui est normal quand on parle d’acrobaties), le spectacle a laissé place à quelques interactions avec le public. Un des moments forts du spectacle, survenu par accident : le spectacle fait état d’un groupe disparates de personnes sur un bateau, devant aller vers l’avant, et une seule personne semble s’inquiéter de la tempête qui s’approche pendant que les autres l’ignorent, le criant alors que quelques gouttes de pluie commençaient à tomber. Heureusement, fausse alerte et ça en est resté là, mais simplement de s’imaginer que ça aurait pu se terminer en tempête pour vrai était très spécial!

Barka / Photo : Olivier Dénommée

Après un set aussi énergique, le groupe de Centre-France La Machine est monté sur scène pour la première fois en Amérique du Nord et a présenté une série de danses traditionnelles françaises. À en juger par les nombreux membres de l’assistance qui se sont mis à danser devant la scène, plusieurs ont apprécié la performance, mais je dois admettre qu’après Barka, c’était une petite baisse de régime. La mentalité sur scène est aussi quelque peu différente et les musiciens de La Machine étaient solides, mais n’avaient pas la même présence que les artistes québécois. C’était possiblement le segment davantage adressé aux connaisseurs.

La Machine / Photo : Olivier Dénommée
Dâvi Simard, quelques secondes après avoir complété son défi de faire de la podorythmie pendant 12 heures / Photo : Olivier Dénommée

Petite parenthèse, pendant le set de La Machine, le musicien Dâvi Simard a finalisé son Tapeuxthon, un projet de faire de la podorythmie pendant 12 heures afin de battre un record Guiness. La fin du défi a momentanément fait ombrage à la performance du groupe sur scène, mais ce dernier a été bon joueur et a salué l’audace de Dâvi Simard pour avoir été jusqu’au bout.

Mon festival s’est achevé avec le spectacle des Grands Hurleurs, groupe de Nicolas Pellerin, qui faisait son retour pour une 4e fois au festival. De retour au trad québécois, le groupe a tout donné, avec son énergique presque rock. Momentanément, plusieurs ont dû oublié qu’ils étaient dimanche soir à la fin d’un festival de 3 jours et se sont volontiers laissé porter. Je pouvais difficilement demander mieux pour conclure un festival comme celui-ci, même si j’en suis sorti épuisé. Pas besoin d’être un grand connaisseur du trad pour apprécier Chants de Vielles, il suffit de venir avec un peu d’ouverture et sa bonne humeur et on est en business!

Les Grands Hurleurs / Photo : Olivier Dénommée

Bravo à l’équipe derrière Chants de Vielles, ça a valu le déplacement!

Un album photo suivra très prochainement pour donner une meilleure idée en images de cette 20e édition de Chants de Vielles.

Toutes les photos : Olivier Dénommée


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