
Sorti le 10 octobre 2025
Pour un groupe fondé il y a 23 ans, Le Vent du Nord ne chôme décidément pas, lui qui vient tout juste de faire paraître son 13e album. Cette fois-ci, le groupe trad québécois explore le vaste thème des «voisinages», autant les voisinages musicaux que ceux qu’on peut avoir avec le territoire ou avec d’autres personnes. Tout naturellement, cela donne le titre Voisinages à l’album, lui qui contient autant des pièces instrumentales que des chansons chantées à 5 voix!
Ce qu’on trouve fascinant avec Le Vent du Nord, c’est qu’il est souvent difficile d’évaluer spontanément quelle part des chansons est tirée du répertoire traditionnel et quelle est une composition originale dans le style, montrant que les musiciens s’approprient parfaitement ce vaste registre en y mettant leur touche personnelle. Prenons par exemple la première piste, Par-dessus le pont : elle part d’une composition datant du 18e siècle, née issue d’une chicane de voisins (!), à laquelle Nicolas Boulerice a ajouté de nouvelles paroles, se mêlant assez aisément aux textes de l’époque. Ajoutons à cela une partie instrumentale reprenant le Le reel à Pépé, composition d’une famille du Vermont, et vous avez le portrait assez complet de la chanson, et du thème de l’album! Les clins d’œil aux voisinages sont donc bien présents, sans nous être mis directement dans la face non plus, ce qui fait en sorte que la proposition ne semble jamais forcée.
Elle est suivie de Bienvenue, une suite de compositions instrumentales d’Olivier Demers, rendant divers hommages, que l’on peut découvrir en lisant sur la pièce. Quant à Le Pari de Jeanne, on rend très ouvertement hommage à Jeanne Mance, cofondatrice de Montréal, sur un trad qui rentre pas mal au poste. Le Canotier propose une des premières chansons plus douces de l’album, reprenant avec doigté cette composition de l’abbé Henri-Raymond Casgrain quelque part dans les années 1800.
La turlute (chanson où la voix ne chante que des onomatopées et non des paroles) L’Acadie s’inspire sans grande surprise de ce «pays sans frontière» qui a d’ailleurs nommé son nom à des villages et des rues fréquentés par un des membres du groupe. Ainsi, malgré son titre, on apprend qu’un rang du village de Saint-Antoine-sur-Richelieu fait partie des inspirations! La chanson la plus sentie de l’album est possiblement Fleuve, où Nicolas Boulerice a donné une voix au Saint-Laurent qui s’inquiète de son avenir s’il n’est pas protégé adéquatement de l’abus de l’Homme.
La Lettre met de l’avant de la dernière «acquisition» du Vent du Nord, André (Dédé) Gagné, arrivé dans le groupe en 2024, reprenant une chanson du répertoire de ses ancêtres. Autre joli clin d’œil de la part du groupe! Mentionnons aussi la référence, subtile, au climat politique du côté des États-Unis : Du Nord au Sud est un morceau instrumental en 3 parties qui aborde à travers ses titres que ce pays est en train de perdre la carte. Évidemment, on ne le devinerait pas sans avoir lu sur le sujet, mais la référence mérite mention! Une nuit dans les Auberges reprend une chanson méconnue de Jean-Claude Mirandette (décédé en 2019) avec, en bonus, l’ajout d’une ritournelle en hommage au compositeur.
Le Vent du Nord n’a pas de batterie dans le groupe, mais Carillon est ce qui s’approche le plus d’une chanson rock, avec un thème militaire et une interprétation mordante. Quant à Salut Réjean, on ne souligne pas le départ du membre Réjean Brunet, mais plutôt une suite de compositions instrumentales d’autres Réjean, Réjean Simard et Réjean Lizotte, qui donnent un peu d’énergie et de bonne humeur à l’approche de la fin de l’album, par ailleurs une autre pièce instrumentale, Fleur radieuse, écrite avec amour par André Brunet pour sa conjointe.
Même si l’album Voisinages est le 13e album du Vent du Nord, ce nombre n’a décidément pas porté malchance au groupe. Après toutes ces années, on ne manque jamais de choses à raconter, le plus souvent de façon assez subtile, ce qui fait qu’à aucun moment on ne sent que le groupe veut nous enfoncer un message dans la gorge, même quand on connaît les positions de ses membres. On a affaire ici à un autre album intemporel, où les chansons centenaires cohabitent avec les compositions récentes sans jamais que ça paraisse forcé. Et on apprécie personnellement beaucoup que le groupe, pourtant reconnu pour son énergie sur scène, n’a pas eu peur de s’adonner à plusieurs morceaux plus doux et émotifs, où il excelle par ailleurs autant. Il y a encore quelque chose de niché avec la musique traditionnelle, mais quand c’est bien amené, ça mérite au moins une oreille, même pour ceux qui ont de la misère avec ce registre que Le Vent du Nord et plusieurs autres s’efforcent à garder vivant et à faire rayonner au-delà de nos frontières.
Cet album est accessible sur la page Bandcamp du groupe.
À écouter : Le Canotier, Fleuve, Fleur radieuse
Par Olivier Dénommée
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